2014 03 11 : Khatia Buniatishvili et le critique musical

Lisant hier, comme chaque semaine, l’actualité musicale commentée sur www.resmusica.com et y trouvant un compte-rendu critique du concert donné par Khatia Buniatishvili à Pleyel le 4 mars (sur lequel j’ai livré mon modeste sentiment) je me crus violemment ramené 40 ans en arrière !

C’est que le très docte Patrick-Georges Montaigu nous y tend, dans un bouquet de roses à première vue flatteur, quelques épines un peu égratignantes.

Khatia Buniatishvili à Pleyel le 4 marsCommençant par complimenter l’interprétation de Gaspard de la nuit et de La Valse de Ravel par Khatia, quoique « elle nous parut rester quelque peu en deçà du potentiel expressif de l’œuvre » il se montre assez dédaigneux de son interprétation des Tableaux d’une exposition de Moussorgski :

« Plus gênants nous semblent être des choix de tempo et de dynamique comme Il vecchio castello, supposé être Andantino molto cantabile qui ici devint Adagio voire Lento, trop distendu pour maintenir un cantabile, d’autant que le rythme inexorable de la basse est perturbé par un rubato ».

M. Montaigu ne cite pas complètement l’indication de mouvement de Moussorgski, lequel ajoute e con dolore… et à plusieurs endroits a précisé : con espressione, espressivo… Alors reportez-vous à l’enregistrement (www.citedelamusiquelive.tv/Concert/1014782/khatia-buniatishvili-maurice-ravel-modeste-moussorgski.html) pour vérifier par vous-même si le jeu de Khatia n’est pas modéré, cantabile et chargé d’une expression douloureuse.

Certes je me souviens d’interprétations très intéressantes qui ont choisi un tempo plus rapide : celle de David Kadouch à la Folle Journée de Nantes 2012 ou celle de Fazil Say à la MC2 Grenoble 2011. Mais la partition ne comportant pas d’indication métronomique, doit-on brider chaque interprète et donc critiquer Khatia parce qu’elle joue ce thème à 60 et non à 80 ? J’aurais envie de renvoyer M. Montaigu à son chronomètre avec la boutade d’Arthur Rubinstein, qui à propos du tempo figurant sur le Scherzo du quatuor en sol mineur de Fauré, le balayait d’une phrase en disant qu’il « n’était là que pour la première mesure ».

Quant au rubato « perturbateur », je pourrais rappeler à ce gardien du square de la musique rangée au carré la célèbre citation de René Leibowitz : « Il n’y a pas de musique possible sans rubato ».

2014 03 05 Paris Pleyel Khatia Buniatishvili 08Pourtant Patrick-Georges Montaigu se fait de plus en plus condescendant : « En fait plusieurs fois lors de l’exécution de ces Tableaux, nous eûmes la sensation que la pianiste faisait de surprenants choix à l’envers de la partition et de ses indications. Ou allant trop loin ailleurs, trop lentement en asséchant l’expression, trop vite en brouillant la ligne musicale, et même étonnamment pour cette pianiste, perdant des notes jusqu’à un beau cafouillage vers la fin. » J’ai dit ce qu’on pouvait lire comme indications sur la partition ; et si des notes se sont perdues dans un cafouillage à l’avant-dernière minute, je ne m’en étais pas aperçu et j’avoue donc mon amateurisme.

Magnanime toutefois, sur la fin de son papier M. Patrick-Georges Montaigu consent : « Mais elle finit néanmoins joliment la soirée avec deux impeccables bis tout en retenue, Bach d’abord, Chopin ensuite. »

Pas de chance pour ce musicologue infaillible : le premier bis n’était pas une pièce de Bach, mais le menuet de la suite en si bémol majeur n°1 HWV 434 de Haendel dans une transcription de Wilhem Kempff.

Et ce court morceau vous permettra d’ailleurs une écoute comparative instructive : vous en trouverez plusieurs interprétations sur YouTube ; alors commencez par celles des pianistes les moins connus (que je ne citerai pas, il ne s’agit pas pour moi de les dénigrer), puis venez-en à celle d’une pianiste française considérable et considérée, Anne Queffélec ; enfin terminez avec celle de Khatia : sa façon de faire vivre l’œuvre est tout simplement incomparable.

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gould

Au fait, pourquoi disais-je, d’entrée, que je me suis cru violemment ramené 40 ans en arrière ? Parce que, privilège d’un âge certain, j’ai découvert Glenn Gould à la fin des années 1960. Aujourd’hui unanimement adulé, pour ne pas dire encensé, Gould à l’époque, s’il était célèbre au Canada et ailleurs, suscitait de farouches critiques dans les « milieux autorisés » français, avec des arguments péremptoires, que M. Montaigu me semble réitérer : Gould « massacrait le tempo » (horreur absolue pour ces puristes : avoir livré deux versions des Variations Golberg de Bach, l’une rapide en 1955, l’autre lente en 1981 !), il « outrait et écartelait les phrasés » ou bien il « surjouait les lignes mélodiques » et, pire que tout, il chantonnait ! Ce que, reconnaissez-le cher Montaigu, Khatia ne fait pas encore !

2013 06 13 Paris Pleyel Khatia Buniatishvili 111 mars 2014