Les hospitaliers français raffolent des grands débats d’idées, où de fortes convictions peuvent s’exprimer, des indignations s’épancher et, parfois, de coléreuses banderoles se déployer et de superbes postures se draper.
Et puis, une fois passées ces glorieuses épopées, retour au quotidien. Le chirurgien retrouve ses bistouris, le médecin ses auscultations, le pharmacien ses molécules, le radiologue ses clichés, l’infirmière ses injections, le directeur ses dossiers et Bernard Debré son secteur privé…
Il est vrai qu’aucun point de vue tranché ou définitif n’est pertinent. L’hôpital n’appartient ni à ces rares espaces de la vie sociale (en est-il au fait ?) où tout est absolument rose, passionnant, irénique, ni à ces contextes hélas trop réels où tout est noir, désespérément noir. Les acteurs de santé s’activent entre les deux : dans un mélange des genres joyeux et tragiques, une combinaison d’espoirs et d’ombres, sans qu’on sache jamais à un instant donné et pour une situation particulière ce qui va l’emporter. Sauf que le trend ‑ comme disent les économistes qui nous dictent un peu tout un peu trop souvent – la tendance globale à long terme, est quand même faite d’éclatantes victoires sur la maladie et d’une espérance de vie toujours améliorée.
Dans notre pays colbertiste et bonapartiste, les réformes succèdent aux réformes. En période faste, leur enchaînement est darwinien : une espèce réglementaire obsolète est remplacée par un organisme mieux adapté, plus fonctionnel. Mais le plus souvent, trop souvent en tout cas, ces créatures juridiques s’ajoutent à celles très anciennes ou toutes récentes qu’on ne peut, ou n’ose, ou ne sait supprimer. Alors elles s’empilent, s’enchevêtrent inextricablement, au grand dam des gestionnaires dont le devoir de réserve (ce fossile anthropologique sans aucune base légale !) confine au mutisme, et à la grande joie de médecins, pas tous libéraux, pour lesquels le safari au dahu administratif est un sport consensuel et sans danger.
Cependant la réalité vraie demeure, elle évolue dans ses manifestations mais observe trois constantes : la naissance, la maladie, la mort. Et donc perdure le devoir pour toute société évoluée de les prendre en charge et d’adapter les moyens pour le faire. Là-dessus, les « décideurs » disputent encore et encore des solutions juridiques, administratives et financières ; tout autant que la communauté médicale se divise ou débat du bien-fondé des saignées, de la pertinence des vaccinations, de l’utilité des simples et des onguents…
Pourtant un point focal requiert notre attention et peut être notre vigilance : la santé humaine est un bien de nature très particulière, qui réclame à sa préservation des outils de service public ou d’intérêt général ; et c’est là sans doute la question centrale qui va agiter notre superstructure socio-politique dans les prochaines années, à rebours de la marchandisation qui semble triompher de tout et de tous. Dans ce champ de la santé, je veux bien que l’initiative privée trouve sa place, toute sa place… c’est-à-dire une place subsidiaire. Parce que, dans leur essence, les besoins de santé qui relèvent du superflu ou du facultatif le sont aussi, subsidiaires. Et le reste, tout le reste doit échapper aux logiques du profit.
A cet égard, l’obstination récurrente, tenace et maligne des opérateurs de santé à but lucratif à exiger une « convergence » qui serait en réalité une totale ouverture des vannes à leur irruption sur ce « marché » est parfaitement éclairante ; comme est encore plus inquiétante la « fermeté »… à éclipse du pouvoir politique qui, dès qu’on ne le surveille plus, tend à donner des gages à cette appétence.
A l’heure où certains semblent baisser les bras, au moment crucial ou s’opère une relève des générations, entre ceux qui ont fait l’hôpital public d’aujourd’hui, tel qu’il est, et ceux qui aspirent à le refonder en échappant aux controverses archaïques, la pierre angulaire est là et nulle part ailleurs. Toutes distinctions secondaires, entre établissements publics ou privés non lucratifs, entre statuts ou conventions collectives, toute théorie momentanément en vogue jusqu’à preuve de son inefficacité, tout sigle à la mode ‑ T2A ou HPST ‑ jusqu’à démonstration de ses limitations, devraient être relativisés. Une idée neuve ressurgit, qui vaut un investissement intellectuel de grande ampleur et réclame de chacun un positionnement clair : le service public hospitalier.