Livre : Hippocrate malade de ses réformes – 2007

Exercez votre liberté

Ce livre est tout entièrement consacré à retracer l’histoire récente des politiques de santé et à en démontrer les impostures.

Ainsi donc, pour l’idéologie dominante, le diagnostic officiel est pessimiste, le pronostic plus encore : le système de santé français connaîtrait une crise profonde, il serait en faillite faute de pouvoir réguler l’explosion des dépenses de santé ; malgré un trou de la Sécu abyssal, il ne garantirait même pas un accès universel à des soins de qualité.

Et les gouvernements, les experts et les journalistes de stigmatiser l‘exception française pour mieux célébrer nos voisins européens qui, eux, auraient eu le courage d’engager des reformes certes difficiles mais nécessaires. Un examen attentif de ces réformes montre, toutefois, qu’il n’existe pas d’exception française et que les systèmes de santé européens sont mis en crise dans le but de privatiser et de libéraliser le secteur, avec les encouragements de l’Union européenne et de l’OCDE. Le paradoxe veut que ce soit le cancre des pays développés ‑ les Etats-Unis ‑ qui inspire désormais les décideurs européens.

Même si, en France, l’État resserre son emprise sur l’assurance maladie et se gargarise de la couverture maladie universelle, notre pays n’est cependant pas à l’abri de la doxa néolibérale. L’étatisation pourrait être le levier de la mise en concurrence prochaine de l’assurance maladie et des hôpitaux. Des voix, notamment patronales, s’élèvent pour presser l’adoption de réformes en ce sens, dans un débat public monopolisé par une poignée d’experts. Le discours modernisateur oscille alors entre la pédagogie économique et la répétition ad nauseam de poncifs, comme les « abus », sur le fondement de chiffres parfois fantaisistes, souvent contestables et toujours intéressés.

La critique sociale passe d’abord par un triple refus : celui de l’économisme ; celui de la reddition face au « bon sens » gestionnaire ; celui de la posture défensive qui, dénonçant le rationnement des soins, en vient à défendre les revenus des médecins et les profits de l’industrie pharmaceutique. Elle doit ensuite partir d’un constat radical : la santé est un enjeu politique avant d’être un problème économique ou médical. La question sanitaire rejoint alors la question sociale, redevenant un sujet de réflexion pour les sciences sociales et, au-delà, de délibération démocratique.

La santé est le terrain privilégié d’interpellation des fondements économiques, sociaux et politiques du nouvel ordre économique.

Au-delà du pamphlet, déjà connu, que retenir du livre ? Qu’il est plus solidement construit et argumenté que ceux qui, défendant la même thèse, l’ont précédé. Qu’il vous apportera un résumé historique des dernières décennies de politique de santé ; certes de parti-pris, mais cela vous changera de ces bataillons « d’experts » qui évitent soigneusement de livrer une opinion contredisant un tant soit peu le politiquement correct qui a noyé le débat.

Si vous éprouvez une prémonition désagréable à la perspective – hypothétique bien sûr ‑ de mourir idiot, vous lirez ce livre avec un grand intérêt. Vous en contesterez certes quelques pages et manifesterez un doute salutaire sur d’autres.

Bref, vous exercerez une faculté qu’on peut craindre en voie de disparition dans notre microcosme sanitaire : le libre arbitre.

Frédéric Pierru
septembre 2007 – 312 pages – 20 €
Collection savoir/agir
Editions du croquant
Broissieux
73340 BELLECOMBE-EN-BAUGES
www.editionsducroquant.org