Edito DH n° 88 mars 2003 : Le jeu de la subduction

Cette fois, le débat est lancé : présentation du plan « Hôpital 2007 » par le ministre, rapports Piquemal sur l’ARTT et Descours sur la permanence des soins, prises de position, réactions, floraison d’ouvrages polémiques ou incisifs qui —fait nouveau— montent haut et longtemps au palmarès des ventes. Mais l’évolution notable est l’installation de l’hôpital dans le débat public. Pas un jour sans sujet au journal télévisé ou dans un quotidien. Pas une semaine sans dossier dans une émission ou un hebdomadaire. Certes, diront les sceptiques, les thèmes préférés des journalistes ne le sont pas forcément du grand public. Passagèrement, peut être. Mais ce qui perdure dans les médias, qui ont l’œil rivé à l’audimat, est forcément en phase avec leur auditoire.

La situation est donc mûre pour que la question hospitalière franchisse une étape décisive. Plus que jamais, à DH Magazine, nous sommes persuadés que les solutions opérationnelles résultent d’une démarche collégiale et qu’avant de les sortir du chapeau, il faut poser les conditions minimales sous lesquelles elles peuvent s’élaborer. Ces dernières années, quelques-uns de ces préalables ont été évoqués dans nos colonnes. Par exemple, puiser dans le vivier des pratiques existantes, car les établissements ont expérimenté et innové bien plus que ne le croient leurs condescendants contempteurs. Restaurer la dignité du réel immédiat et réhabiliter les acteurs de terrain. Médicaliser les domaines de compétence qui doivent l’être. Donner aux cadres de santé le rôle qui convient. Mais d’abord, clairement et fermement, repositionner les directeurs dans leurs fonctions et responsabilités, même s’il faut aller à rebours d’un demi-siècle d’histoire hospitalière.

La préoccupation de tout pouvoir d’Etat de voir sa politique appliquée se double, en France jacobine, d’une défiance des forces centripètes. L’objectif jamais atteint, mais obstinément poursuivi depuis 1941, étant de faire du directeur d’hôpital l’instrument de l’administration centrale, voire le cheval de Troie d’une reprise en main. Solution de facilité non dénuée d’effets secondaires d’autant plus fâcheux qu’ils apparaissent tardivement.

D’abord, il n’est pas à l’avantage du directeur d’accepter cette ductilité qui, en cas de surtension, fait commodément fusible. Sa place normale est à la tête de son équipe hospitalière, se démarquant quand il le faut des autorités étatiques[1], pour promouvoir et défendre vigoureusement l’intérêt bien compris de l’établissement. Bien compris : cela réclame intra muros persuasion, acharnement au quotidien et, quelquefois, du courage ! Nous ne sommes pas là en train de plaider pour une sorte de veule poujadisme hospitalier. Quant à la mise en œuvre, plus ou moins didactique ou autoritaire de la planification sanitaire, de ses contraintes, contingentements ou réductions de moyens, elle relève du seul pouvoir central et de ses instruments déconcentrés.

Ce serait d’ailleurs intelligence et sagesse pour l’Etat d’assumer lui même toutes les implications sociopolitiques de ses stratégies. En voulant s’aménager un glacis protecteur de directeurs souples à ses volontés, fait-il l’ange ou la bête ? Croit-il abolir ainsi les contradictions inhérentes à toute société complexe ? Aucune astuce de Clausewitz de préfecture ni artifice de haute stratégie administrative n’a jamais résorbé les tensions qu’engendrent mécaniquement les frictions d’intérêts et les subductions sociales. En jouant au plus malin, l’Etat —et ceux parmi nous qui s’y prêtent— ne fait rien de plus que de déplacer l’épicentre. Mais où donc, chers collègues ? Là où il ferait un maximum de dégâts en cas de séisme : sous nos établissements.

PS : J’allais presque oublier : Les USA, dans une volte-face criminelle à l’égard de l’Afrique, viennent de renier leur acceptation de déroger au sacro-saint Trade-mark et de livrer à prix coûtant les médicaments permettant de combattre ses terribles fléaux, Sida et autres. Des millions de morts supplémentaires en perspective ! Là-bas, ce n’est pas un canton qui tremble, c’est un continent entier qui s’enfonce…

 


[1]-Selon le désormais célèbre principe politique : « Parce que moi c’est moi et que lui c’est lui ».