2017 08 10 : Avec le temps, les écrivains… 3 Italo Svevo

Cet été, je me suis dit « je vais relire les romanciers italiens que j’ai aimé dans ma jeunesse et n’ai jamais refréquenté depuis ». Pas par nostalgie nunuche mais par curiosité, pour voir comment mon opinion a évolué.

Car si nous pouvons jauger assez lucidement la transformation objective de notre physionomie ou de notre condition physique, il est par contre difficile de mesurer le changement de nos opinions du fait que la réminiscence de nos conceptions originelles a elle aussi vieilli.

Italo Svevo ?

Des quelques romanciers italiens de ma jeunesse que je me hasarde à évoquer ici, il m’est singulier à plus d’un titre.

D’abord parce que c’est le dernier que j’ai lu, au moins cinq ans après les autres, en 1977 (je m’en souviens, c’était dans un train en allant passer un concours à Paris, à cette époque les trains n’avançaient pas très vite mais ils arrivaient à l’heure) ; ce n’est donc plus une lecture d’adolescence.

Ensuite parce que je n’ai lu qu’un seul roman de lui, soit qu’il n’en soit pas paru davantage à l’époque, soit que le temps libre qui m’était alors plus chichement mesuré ne m’ait pas laissé le loisir d’en aborder d’autres.

Enfin parce qu’il n’avait alors pas suscité l’engouement, l’effet de mode dont les autres romanciers italiens bénéficiaient en France, à tel point que je ne trouvai aucun ami l’ayant lu et avec lequel j’aurais pu échanger.

Donc je n’avais pas le choix : j’ai repris en main Une vie.

Par sa consistance ce roman est aux antipodes de ceux de Pavese, Buzzati et Moravia car il compte 300 pages bien tassées. Svevo appartient d’ailleurs à la génération précédente, il écrit peu (trois romans) entre 1890 et 1920, alors que les autres publient beaucoup entre 1930 et 1960.

Par l’intrigue d’Une vie, en revanche, il leur ressemble car l’histoire est minimaliste, en l’occurrence celle d’un jeune un peu ambitieux, un raté, dont la vie de petit employé de banque s’enfonce lentement dans la médiocrité vers une conclusion sinon banale en tout cas prévisible.

Tout au long du roman il ne se passe donc pas grand-chose sinon le déroulement au jour le jour de petites passions, petites désillusions, amitiés déçues et fausses relations professionnelles.

Mais c’est là que je mesurai à chaque page toute la différence de talent que je ressens d’avec Pavese : de cette banalité, Svevo nous donne une peinture psychologique exceptionnellement fine, les petites variations incessantes des relations et des sentiments sont brossées d’une façon impressionniste, la lourdeur des conventions sociales et la profondeur du fossé entre statuts de fortune y apparaissent d’autant plus cruelles qu’elles sont rarement violentes et que les velléités conflictuelles s’épuisent vite.

Un signe de grande littérature qui ne trompe pas : hormis quelques conventions et politesses devenues désuètes, après l’avoir lu ou relu vous admettrez comme moi que ce roman pourrait dépeindre une situation d’aujourd’hui.

10 août 21017