Je vous parle d’un temps que vous n’avez connu – vous mes jeunes collègues – et d’un jeu qui alors faisait fureur dans tous les bars : le flipper, ou billard électrique, machine conçue aux USA vers 1940, dérivée d’un vieux jeu français : la bagatelle.
Jeu d’apparence simple, mais qui exigeait un certain savoir-faire et comportait une sanction irrévocable : le tilt.
Tilt ? Le mot, au sens premier anglais de« penchant, inclinaison », désignait le déclic sonore annonçant l’interruption de la partie lorsque le joueur avait manœuvré brutalement le billard, ou tenté de soulever son plateau pour diminuer sa pente et ainsi ralentir la course de la bille d’acier avant qu’elle ne tombe dans le hole (trou). La partie s’arrêtait et le joueur était privé de tout ou partie des points accumulés, sanctionné d’avoir en quelque sorte cédé à un mauvais penchant dans l’intention de diriger la bille là où elle produirait un max de gains, mais abusifs…
Et le flipper d’afficher cruellement : The end ! Game over, no extra ball, no replay, no jackpot…
Mais nos amis de la Belle Province ne seraient sans doute pas enchantés que j’utilise tous ces termes anglais, eux qui sont farouchement francophones : alors à flipper, ils préféraientmachine à boules.
Car c’est du Québec dont il faut que je vous cause, en remontant quatre années en arrière. En septembre 2009, accompagné de fiers roulements de tambours et de retentissants éclats de trompettes célébrant sa haute compétence, notre personnage s’en fut diriger le CHU de Montréal. « Cette nomination témoigne du grand professionnalisme des manageurs français, appréciés bien au-delà de nos frontières… Je ne doute pas que sous sa direction, le CHU de Montréal confortera son rayonnement national et international. Sa présence outre-Atlantique renforcera encore les liens d’amitié et les partenariats qui nous lient au Québec. » déclara alors avec satisfaction le président de la Conférence des DG de CHRU français…
Précédemment, notre superman avait connu une trajectoire qui avait fait des envieux : AP-HP, CHU de Rouen, parcours classique d’un élève doué de l’ex-ENSP habilement conforté de responsabilités syndicales, d’opportunités politiques (conseiller aux cabinets de Simone Veil puis Philippe Douste-Blazy) et de l’appui d’obédiences (plus ou moins) discrètes.
« Renouvelé »… puis « relevé »
Mais ne le cherchez plus à Montréal en tout cas : il n’y est déjà plus.
« Il est passé par ici… il repassera par là… » Qui ça ? Le furet du bois joli, mesdames ? Non, Christian Paire, évidemment. Las ! à peine renouvelé dans ses fonctions par le CA du CHU fin novembre 2013… il en était relevé par le même CA réuni à nouveau le 10 décembre (à huis clos cette fois !).
Dans l’intervalle, que s’est-il donc passé ? Le dépôt d’un rapport sévère du vérificateur général du Québec Michel Samson, qui formulait « 12 recommandations », assez impérieuses pour inciter le ministre Réjean Hébert à rencontrer les membres du CA, « soucieux de donner un coup de barre ». Un plan d’action, de redressement plutôt, adopté lui aussi… à l’unanimité. Un peu dans l’urgence, puisque ledit ministre avait donné trois jours au CA pour corriger le tir, sans quoi le CHU serait mis sous tutelle. Urgence extrême même, puisque l’intérim du DG évincé commençait dès le lendemain et que « M. Paire a été avisé de ne plus remettre les pieds au CHU ».
Pauvre président du CA du CHU, qui pour se dédouaner un peu déclare à la commission d’enquête parlementaire que « le CA du CHU de Montréal n’a jamais été informé, avant d’arrêter son choix en 2009, du déficit important existant sous la gouverne de M. Paire au CHU de Rouen, où il était en poste auparavant ». Outre une stratégie de gestion jugée très floue, des embauches de collaborateurs directs qualifiées de peu claires, la commission se serait étonnée de la rémunération de Christian Paire, composée de deux volets, l’un dit « hospitalier » de 350 000 $ annuels et le second dit « académique » de 80 000 $ ; au total presque le double de son prédécesseur…
De cet épisode désolant, l’image de l’hôpital public français et de ceux qui le servent sans jamais s’en servir va-t-elle sortir écornée, à la grande joie des sectateurs de la clinique privée ? Peut-être pas ; le pire n’est jamais sûr, surtout dans ce pays cher à notre cœur, où nos cousins nourrissent pour nous une chaleureuse et profonde amitié, toujours vivace… Alors ne flippons pas ! Mais finie la bagatelle !