Tableaux parisiens : XCVIII – L’AMOUR DU MENSONGE

Quand je te vois passer, ô ma chère indolente [1],
Au chant des instruments qui se brise au plafond
Suspendant ton allure harmonieuse et lente,
Et promenant l’ennui de ton regard profond ;

Quand je contemple, aux feux du gaz [2] qui le colore,
Ton front pâle, embelli par un morbide [3] attrait,
Où les torches du soir allument une aurore,
Et tes yeux attirants comme ceux d’un portrait,

Je me dis : Qu’elle est belle ! et bizarrement fraîche !
Le souvenir massif, royale et lourde tour,
La couronne, et son cœur, meurtri comme une pêche,
Est mûr, comme son corps, pour le savant amour.

Es-tu le fruit d’automne aux saveurs souveraines ?
Es-tu vase funèbre attendant quelques pleurs,
Parfum qui fait rêver aux oasis lointaines,
Oreiller caressant, ou corbeille de fleurs ?

Je sais qu’il est des yeux, des plus mélancoliques,
Qui ne recèlent point de secrets précieux ;
Beaux écrins sans joyaux, médaillons sans reliques [4],
Plus vides, plus profonds que vous-mêmes, ô Cieux !

Mais ne suffit-il pas que tu sois l’apparence,
Pour réjouir un cœur qui fuit la vérité ?
Qu’importe ta bêtise ou ton indifférence ?
Masque ou décor, salut ! J’adore ta beauté.

Georges Chelon 1997

Ce poème pourrait évoquer Marie Daubrun.
[1] Insensible, indifférente.
[2] A l’époque, les lampadaires et éclairages fonctionnaient au gaz.
[3] Maladif, triste.
[4] Dans la religion catholique, restes d’un saint enchâssés dans un réceptacle, une urne, ou un médaillon.