Blanche fille aux cheveux roux,
Dont la robe par ses trous
Laisse voir la pauvreté
Et la beauté,
Pour moi, poëte chétif [1],
Ton jeune corps maladif,
Plein de taches de rousseur,
A sa douceur.
Tu portes plus galamment
Qu’une reine de roman
Ses cothurnes [2] de velours
Tes sabots lourds.
Au lieu d’un haillon trop court,
Qu’un superbe habit de cour
Traîne à plis bruyants et longs
Sur tes talons ;
En place de bas troués,
Que pour les yeux des roués [3]
Sur ta jambe un poignard d’or
Reluise encor ;
Que des nœuds mal attachés
Dévoilent pour nos péchés
Tes deux beaux seins, radieux
Comme des yeux ;
Que pour te déshabiller
Tes bras se fassent prier
Et chassent à coups mutins [4]
Les doigts lutins [5],
Perles de la plus belle eau,
Sonnets de maître Belleau [6]
Par tes galants mis aux fers [7]
Sans cesse offerts,
Valetaille [8] de rimeurs
Te dédiant leurs primeurs [9]
Et contemplant ton soulier
Sous l’escalier [10],
Maint page [11] épris du hasard,
Maint seigneur et maint Ronsard
Épieraient pour le déduit [12]
Ton frais réduit [13] !
Tu compterais dans tes lits
Plus de baisers que de lis [14]
Et rangerais sous tes lois
Plus d’un Valois [15] !
— Cependant tu vas gueusant [16]
Quelque vieux débris gisant
Au seuil de quelque Véfour [17]
De carrefour ;
Tu vas lorgnant en dessous
Des bijoux de vingt-neuf sous
Dont je ne puis, oh ! pardon !
Te faire don.
Va donc, sans autre ornement,
Parfum, perles, diamant,
Que ta maigre nudité,
Ô ma beauté !
Georges Chelon 1997