Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse,
La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,
Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits
Qui compriment le cœur comme un papier qu’on froisse ?
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse ?

Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine,
Les poings crispés dans l’ombre et les larmes de fiel [1],
Quand la Vengeance bat son infernal rappel,
Et de nos facultés se fait le capitaine ?
Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine ?

Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres [2],
Qui, le long des grands murs de l’hospice [3] blafard,
Comme des exilés, s’en vont d’un pied traînard,
Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres ?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres ?

Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides,
Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment
De lire la secrète horreur du dévouement [4]
Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avides ?
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides ?

Ange plein de bonheur, de joie et de lumières,
David [5] mourant aurait demandé la santé
Aux émanations de ton corps enchanté ;
Mais de toi je n’implore, ange, que tes prières,
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières !

Georges Chelon 1997

Apollonie Sabatier, par Barye

Poème adressé par courrier anonyme à Apollonie Sabatier.

RÉVERSIBILITÉ Concept théologique selon lequel les grâces des saints peuvent bénéficier aux pêcheurs. Dans une analogie non religieuse, la grâce de M^me Sabatier pourrait bénéficier au poète Baudelaire.

[1] Au sens figuré : amertume.

[2] Métonymie : les malades atteints de fièvre.

[3] Etablissement où l’on accueillait les malades ou les personnes âgées démunies.

[4] Le dévouement que les jeunes et les adultes dispensent aux vieillards.

[5] Dans la Bible, ce roi d’Israël, à l’heure de sa mort, aurait demandé qu’une jeune fille vierge, Abisag, soit couchée à ses côtés pour le réchauffer.