I
Une Idée, une Forme, un Être [1]
Parti de l’azur et tombé
Dans un Styx [2] bourbeux et plombé
Où nul œil du Ciel ne pénètre ;
Un Ange, imprudent voyageur
Qu’a tenté l’amour du difforme [3],
Au fond d’un cauchemar énorme
Se débattant comme un nageur,
Et luttant, angoisses funèbres !
Contre un gigantesque remous
Qui va chantant comme les fous
Et pirouettant dans les ténèbres ;
Un malheureux ensorcelé
Dans ses tâtonnements futiles [4],
Pour fuir d’un lieu plein de reptiles,
Cherchant la lumière et la clé ;
Un damné descendant sans lampe,
Au bord d’un gouffre dont l’odeur
Trahit l’humide profondeur,
D’éternels escaliers sans rampe,
Où veillent des monstres visqueux
Dont les larges yeux de phosphore [5]
Font une nuit plus noire encore
Et ne rendent visibles qu’eux ;
Un navire pris dans le pôle,
Comme en un piège de cristal,
Cherchant par quel détroit fatal
Il est tombé dans cette geôle [6] ;
— Emblèmes [7] nets, tableau parfait
D’une fortune [8] irremédiable,
Qui donne à penser que le Diable
Fait toujours bien tout ce qu’il fait !
II
Tête-à-tête sombre et limpide
Qu’un cœur devenu son miroir !
Puits de Vérité, clair et noir,
Où tremble une étoile livide,
Un phare ironique, infernal,
Flambeau des grâces [9] sataniques,
Soulagement et gloire uniques,
— La conscience dans le Mal !
Georges Chelon 1997