Révolte : CXIX – ABEL ET CAÏN

I

Race d’Abel, dors, bois et mange ;
Dieu te sourit complaisamment.

Race de Caïn, dans la fange [1]
Rampe et meurs misérablement.

Race d’Abel, ton sacrifice
Flatte le nez du Séraphin [2] !

Race de Caïn, ton supplice
Aura-t-il jamais une fin ?

Race d’Abel, vois tes semailles
Et ton bétail venir à bien ;

Race de Caïn, tes entrailles
Hurlent la faim comme un vieux chien.

Race d’Abel, chauffe ton ventre
À ton foyer patriarcal [3] ;

Race de Caïn, dans ton antre
Tremble de froid, pauvre chacal !

Race d’Abel, aime et pullule !
Ton or fait aussi des petits.

Race de Caïn, cœur qui brûle,
Prends garde à ces grands appétits.

Race d’Abel, tu croîs et broutes
Comme les punaises des bois !

Race de Caïn, sur les routes
Traîne ta famille aux abois.

II

Ah ! race d’Abel, ta charogne
Engraissera le sol fumant !

Race de Caïn, ta besogne
N’est pas faite suffisamment ;

Race d’Abel, voici ta honte :
Le fer est vaincu par l’épieu [4] !

Race de Caïn, au ciel monte,
Et sur la terre jette Dieu !

Lecteur audio

Léo Ferré 1967

Lecteur audio

Georges Chelon 1997

Dans la Bible, Caïn et Abel sont les deux fils d’Adam et Ève. L’aîné Caïn tue Abel par jalousie car Dieu a préféré l’offrande d’Abel à la sienne.
[1] Boue, bourbe – au sens figuré souillure, bassesse, abjection.
[2] Religion chrétienne : ange du niveau le plus élevé.
[3] Fondé sur la prééminence des pères.
[4] Comprendre : le fer du soc du riche laboureur est vaincu par l’épieu du pauvre chasseur.