Additions de la 3e édition (1868) : II – À THÉODORE DE BANVILLE (1842)

Vous avez empoigné les crins de la Déesse
Avec un tel poignet, qu’on vous eût pris, à voir
Et cet air de maîtrise et ce beau nonchaloir [1],
Pour un jeune ruffian [2] terrassant sa maîtresse.

L’œil clair et plein du feu de la précocité,
Vous avez prélassé votre orgueil d’architecte
Dans des constructions dont l’audace correcte
Fait voir quelle sera votre maturité.

Poëte, notre sang nous fuit par chaque pore ;
Est-ce que par hasard la robe du Centaure [3]
Qui changeait toute veine en funèbre ruisseau

Était teinte trois fois dans les baves subtiles
De ces vindicatifs [4] et monstrueux reptiles
Que le petit Hercule [5] étranglait au berceau ?

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Théodore de Banville, photo 1880

Théodore de Banville (1823-1891) poète, dramaturge, l’un des plus estimés à son époque. Le 2 septembre 1867, il fit l’éloge de Baudelaire sur sa tombe au cimetière du Montparnasse en présence de moins de cent personnes. Banville s’occupa de la troisième édition des Fleurs du Mal.
[1] Forme ancienne de nonchalance.
[2] Entremetteur, souteneur, on dit maintenant proxénète.
[3] Mythologie grecque : créature mi-homme, mi-cheval. Allusion au poème La robe du centaure de Charles-Marie Leconte de Lisle (que Baudelaire avait connu à La Réunion) publié dans le recueil Les Poëmes antiques en 1852.
[4] Qui voulaient se venger
[5] Demi-dieu de la mythologie romaine, fils de Jupiter, symbole de la force physique.