J’entends dire ou je lis souvent que Mai 1968 fut non seulement une bourrasque politique, sociale, culturelle, générationnelle, mais aussi une révolution sexuelle. J’ai vécu, participé et même animé les évènements dont il s’agit alors je me permets de le dire nettement : non.
Non, Mai 68 ne provoqua pas la révolution sexuelle. Ses jeunes actrices et acteurs, dont je fus, n’en firent aucunement l’une de leurs préoccupations importantes.
C’est la presse bourgeoise et petite-bourgeoise et certains intellectuels de cet acabit qui proclamèrent et rabâchèrent longtemps (chacun imitant l’autre) que notre inspirateur était l’écrivain-médecin Wilhelm Reich dont nous étions censés dévorer le bouquin La révolution sexuelle. Tout ça parce que Die Sexualität im Kulturkampf paru en 1936, fut publié en traduction française début 1968 (chez Plon). Mais c’est faux : je ne l’ai jamais lu, aucun de mes camarades de mon âge ou plus âgé ne le lisait et pour une simple raison : nos inspirateurs vénérés étaient Lénine, Trotski, Mao-Tsé-Toung, Ho-Chi-Minh et il nous fallait déjà trouver le temps de lire leurs milliers de pages (ah oui, les œuvres complètes de Lénine, en 27 volumes !)
Quant à l’autre agitateur que la bourgeoisie bien-pensante et modérée présenta des mois durant comme l’inspirateur de la dépravation des mœurs et du sexe à tout va : je désigne évidemment Herbert Marcuse, Allemand-Américain affublé de l’étiquette dévalorisante dans la bouche de ces gens-là de « freudo-marxiste théoricien du plaisir et du désir » (la totale débauche, quoi !) c’était un philosophe d’une autre envergure et d’une autre actualité que le précédent… sauf que, je vous le garantis, aucun des meneurs soixante-huitards ne l’avait non plus vraiment lu !
Alors donc, s’il faut dater le début de la révolution sexuelle, et je trouve plus pertinent de dire l’évolution sexuelle, c’est à Colette à laquelle je pense.
Jeunes lycéens ses livres nous étaient facilement accessibles. Certes notre manuel scolaire de littérature, le prude Largarde et Michard, traitant de Colette dans son volume 6, ne nous livrait prudemment que des extraits de ses œuvres évoquant son enfance, ses chats, Les Vrilles de la vigne… Mais ses romans et récits, quels trésors ! Les Claudine, Le Pur et l’Impur entre autres, nous furent de précieux manuels d’initiation à la vie amoureuse et sexuelle, même avec le langage codé ou elliptique qu’il lui fallait employer.
Colette n’était pas féministe, mais elle nous faisait respecter la Femme (et quand je dis « nous » je n’évoque pas seulement les jeunes lecteurs masculins) et elle nous ouvrait la réflexion sur l’homosexualité féminine : ce n’était pas rien dans cette époque machiste d’avant Mai 68…
Dans Le Blé en herbe, paru en 1923, Colette mentionne au passage « ces plaisirs qu’on nomme, à la légère, physiques » [1]. Affirmation à laquelle elle attachait de l’importance puisque dans Le Pur et l’Impur, récit paru en 1941 mais publié initialement en 1932 sous le titre Ces plaisirs… Colette remet cette phrase en exergue : « ces plaisirs qu’on nomme, à la légère, physiques » [2]
Après Colette il y eut certes de nombreux écrivains qui accompagnèrent cette évolution sexuelle, au long cours et qui est loin d’être achevée.
Ecrivains ? Ecrivaines surtout, car elles en parlent tellement mieux de cette évolution nécessaire… Il est vrai qu’elles y ont davantage à gagner que nous les mecs : ne plus rester les inconsolables consolatrices de maladroits qui s’ignorent ou d’éjaculateurs précoces !
4 juillet 2021
[1] Colette, Œuvres II, La Pléiade, page 1238
[2] Colette, Œuvres III, La Pléiade, page 1514