Ce fut un intellectuel de droite, oui, mais un bon ; il y en a si peu de ce côté-là… quant à la simili-gauche, n’en parlons pas.

Muray est mort en 2006, à 60 ans, trop tôt emporté par le tabagisme, cette dépendance à juste titre vilipendée… mais plus visible, donc plus forcément coupable, donc plus condamnée, que l’addiction massive à la drogue dure du capitalisme, celle-là infiniment plus insidieuse par les besoins mortifères qu’elle suscite, les envies fatales qu’elle inspire, les crimes de masse qu’elle commet dans l’extraction, la production et la fabrication de ses matières premières, denrées et marchandises.

Combien je fulmine de constater à quel point nous sommes apparemment si peu à lire ou relire Muray, ou alors oublieux. Incapables en tout cas de déjouer le malheur annoncé, lequel apparaîtra en conséquence inéluctable des calamités déjà advenues parmi nous dans notre indifférence, et des endémies à venir en vaguelettes avant-courrières du désastre final si rien n’est fait pour le conjurer.

Et Muray était l’un de ces annonciateurs.

On ne résume pas sa pensée imprécatoire ni ses vindictes intarissables contre ses ennemis de prédilection : le tourisme imbécile et universellement destructeur, le festivisme grotesque aux assommoirs omniprésents, la ligue de vertu du conformisme totalitaire vicieusement grimé de tolérance et fardé au droit de l’hommisme.

Certes, Muray cédait parfois à un penchant grognon de ressasser, s’enveloppait quelquefois d’une écriture obsessionnellement réitérante… Mais quelle écriture ! quelle prémonition !

Quelle voix, malheureusement imperçue dans l’inanité sonore de notre agitation écervelée, dans ce « marché de Noël » continuel et circulairement perpétuel, qui s’acharne à solder nos villes en lupanars d’objets aussi désirables que jetables, à pestiférer nos banlieues en pénitenciers pour salariés précaires et zombies ubérisés, à pesticider nos campagnes en terres de relégation pour retraités déclassés et paysans ruinés.

8 décembre 2018