On apprenait hier 23 juillet avec surprise que Daniela Simon, responsable de la procédure collégiale et cheffe du service de soins palliatifs du CHU de Reims avait décidé de maintenir en vie Vincent Lambert, en état végétatif depuis 2008, et avait saisi le procureur de la République d’une demande de mise sous protection d’un supposé projet d’enlèvement et pour nommer un référent qui pourrait représenter légalement Vincent Lambert.
Nombre de juristes avaient déjà été surpris la semaine précédente de la décision du CHU d’ouverture d’une nouvelle procédure collégiale d’arrêt des soins, alors que – les arrêts successifs du tribunal administratif, du Conseil d’Etat et de la Cour européenne des droits de l’Homme le 5 juin ayant écarté les obstacles et menaces juridiques accumulés par les parents Lambert, opposés à la volonté de l’épouse, d’une partie des frères et sœurs et du neveu – il aurait sans doute été plus simple de réactiver et mener à son terme la démarche collégiale antérieure afin d’abréger une procédure qui n’a que trop duré.
La Dre Daniela Simon ne communiquant pas, les analystes supputaient que la désignation d’un référent permettrait surtout aux médecins de se couvrir et se mettre à l’abri d’éventuelles poursuites. Sauf que cette saisine d’un procureur en congé jusqu’à la mi-août, va rajouter un délai aux délais ; et ce ne sera pas le dernier, le dossier sera ensuite transmis au juge des tutelles, car c’est lui qui choisira le référent.
Demande procédurière et tatillonne, selon ces analystes, rappelant que d’habitude, quand un patient est dans le coma et qu’il faut prendre une décision, on sollicite son épouse, la mieux placée pour protéger les intérêts et la vie de son mari ; or l’épouse de Vincent Lambert ne cesse de réclamer l’arrêt des soins…
Tentant de venir au secours de la Dre Daniela Simon, la ministre de la santé a tenté de plaider que le médecin « n’a pas pris cette décision parce qu’elle refuse d’arrêter le traitement de Vincent Lambert mais parce qu’elle considère que les conditions de sécurité et de sérénité nécessaires pour mettre en œuvre ce type de décision ne sont pas réunies ».
Explication laborieuse qui n’a convaincu quasiment personne : la plupart des médias considéraient hier soir et ce matin que Daniela Simon « a botté en touche »… ce qui ne serait certes pas à l’honneur de la déontologie et de l’éthique médicales.
L’opinion publique douterait de cette mise en cause si elle n’émanait que de journalistes accoutumés aux imprécations et jugements hâtifs. Mais cela fait mal à la respectabilité médicale lorsque la critique vient d’un journaliste aussi pondéré et compétent que Dominique Verdeilhan, lequel cachait mal son indignation : « L’équipe du CHU de Reims avait tous les feux verts législatifs et juridiques possibles. Le feu vert est passé au rouge par la volonté même des médecins. C’est un aveu d’incapacité. Le dossier n’est plus médical mais il est devenu judiciaire. Il est impossible aujourd’hui quelle sera l’issue de l’affaire et le temps que cela va prendre. C’est un retour à zéro pour cette affaire devenue médiatique. »
Les responsables en charge de cette affaire semblent sous-estimer les ravages que cette reculade occasionne dans des milieux professionnels pourtant portés à la modération :
Hier soir, une vieille connaissance, médecin passé par des cabinets ministériels, me donnait sa version des tenants et aboutissants du conflit. Pour lui, la cheffe de service Daniela Simon ne voulait pas se mettre en délicatesse avec son confrère, maire Les Républicains de Reims et président du conseil de surveillance du CHU, Arnaud Robinet, PHU en biochimie et biologie moléculaire (après avoir échoué trois fois à l’entrée en médecine), qui a fait ses classes au collège Jeanne-d’Arc puis au lycée Saint-Joseph, donc influencé par l’hostilité des milieux catholiques à la fin de vie assistée [1].
Ce matin même un ami, ancien juriste au niveau gouvernemental, me fit part de son« étonnement face au silence persistant de Mme Dominique de Wilde, DG du CHU, d’habitude énergique et volontariste (les médecins des hôpitaux Avicenne à l’AP-HP, de Bondy et de Sevran s’en souviennent). Il lui aurait suffi de rappeler haut et clair que le CHU assume évidemment le principe fondamental de protection fonctionnelle de ses agents publics, médecins ou non, poursuivis en justice, ce qui eût rassuré Daniela Simon et l’eût persuadée qu’engager une nouvelle procédure devant le Procureur “pour se couvrir” était parfaitement redondant. »
Quoi qu’il en soit des raisons plus ou moins claires de la décision de Daniela Simon, et au-delà de l’opinion qu’on en a, ce nouveau rebondissement dans l’affaire Lambert souligne encore plus cruellement deux évidences que je n’ai cessé d’évoquer :
- La loi actuelle, dite Léonetti, est inadaptée puisqu’elle permet les doutes, les hésitations, les atermoiements, les manœuvres dilatoires, à un degré indigne d’un droit positif adapté aux libertés fondamentales : il faut la réformer au plus vite…
- Le Président doit être stigmatisé pour son énorme irresponsabilité, lui qui nous a promis début 2012, dans son engagement n° 21 « la possibilité de bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité, dans des conditions précises et strictes »… et qui visiblement joue la montre.
En décembre 2012, récipiendaire du rapport Sicard, il promit qu’un projet de loi serait présenté au parlement. Mais pour se hâter lentement… il demanda un nouvel avis au CCNE, lequel fut émis en juin 2013. Alors le Président attendit encore un peu rien qu’un peu, un an ! Et missionna en juin 2014 deux députés pour une « nouvelle réflexion » : Alain Claeys… et Jean Leonetti himself, qui remirent leur proposition fin 2014. Le débat ne fut engagé qu’en mars 2015 à l’Assemblée, voté le 17 mars… mais rejeté par le Sénat le 23 juin 2015.
Pendant ce temps, Vincent Lambert et des centaines de citoyens attendent, pour en finir… que la palinodie en finisse aussi !
***
[1] Cette analyse par les influences politiques me semble fragile, dans la mesure où le prédécesseur de Daniela Simon à la chefferie de service, le Dr Éric Kariger, avait engagé la procédure de fin de vie assistée pour Vincent Lambert, étant résolument hostile à toute obstination déraisonnable, alors même qu’il est réputé très proche politiquement de MmeChristine Broutin, comme on sait farouchement opposée à toute forme d’abrègement de la fin de vie.