Edito DH n° 110 janvier 2007 : 2007, année du service public ?

Le moins qu’on puisse dire est que le service public est mal en point, tant le concept que nombre de ses applications pratiques. Même si heureusement, dans sa déclinaison hospitalière, il reste encore vivace et cela sans doute parce que nos concitoyens lui sont particulièrement attachés, ainsi qu’en attestent régulièrement les sondages.

La crise donc du service public affecte tout d’abord la notion, qui d’ailleurs n’a jamais été clairement définie. Nos lecteurs n’étant pas tous juristes, rappelons ici les « trois critères » de la doctrine : ‑ activité d’intérêt général – organisée par une personne publique – soumise en tout ou partie à un régime juridique exorbitant du droit commun. Nous voilà bien avancés…

La confusion a gagné aussi le contenu : quelles prestations aux personnes relèvent de l’intérêt général, du service public, et a contrario lesquelles du secteur marchand ? Et lesquelles d’une catégorie hybride, mixte, indéterminée… ou indécidable ?

Les choses se compliquent à l’envi si l’on joint au débat le mode d’exercice du service public : doit-il être exclusivement confié à des personnes publiques, disposant ou non de la personnalité morale ? Quel place réserver aux établissements privés PSPH, qu’en est-il encore des notions de délégation, concession, participation ? Il y avait dans la loi du 31 décembre 1970 des idées qui faute d’avoir eu toutes leurs chances pourraient sembler encore neuves…

Quant au statut des établissements publics de santé, ce n’est qu’une vague esquisse inachevée : on sait que la catégorie EPS fut accouchée en 1991 dans l’ambigüité, à défaut de majorité nette en faveur de l’EPA, établissement public administratif classique ou de l’EPIC, établissement public industriel et commercial. Le concept sentant un peu le souffre, aucune définition sérieuse n’est venue ultérieurement conforter le droit positif. Madame la Loi, voilà pourquoi votre fille Doctrine est muette… ce qui est de circonstance puisqu’il s’agit de médecine et de l’EPS malgré lui !

Ambigüité encore, mais là entretenue, à propos des statuts des personnels : il reste quelques naïfs à croire qu’un EPS enfin EPIC pourrait s’affranchir des carcans de la fonction publique et des statuts médicaux et s’enivrer aux grands espaces de liberté du droit privé. Moi ces espaces infinis m’effraient (enfin presque) lorsque j’entends nos collègues PSPH et juristes d’entreprise déplorer la redoutable complexité jurisprudentielle du droit du travail et les arcanes de leurs conventions collectives. Hors des incantations, de part et d’autre, a-t-on fait une analyse sérieuse de l’alternative ?

Nous pourrions évoquer d’autres facettes encore de cette crise du service public : juridiques, techniques, managériales, administratives et représentatives. Mais nous voudrions ici rappeler qu’à la base il y a toujours une dimension politique. Car l’idée que se forge chacune et chacun d’entre nous du service public repose sur des convictions, des postulats, des réticences, des préférences, des a priori idéologiques, qui pour être subjectifs sont néanmoins légitimes.

Ainsi les tenants, non pas du libéralisme marchand (qui ne l’est pas aujourd’hui ?), mais de son extension sans entrave à toute la santé, vitupèrent l’hégémonie arrogante du secteur public. Or Gérard Vincent rappelle souvent – encore dernièrement dans une conférence de presse – que la France est des pays de l’OCDE [1] l’un de ceux où l’hospitalisation privée occupe le plus large segment de marché…

Il faut méditer le fait que la FHF soit aujourd’hui contrainte de promouvoir un « bouclier de service public », alors qu’il y a 35 ans tout le monde ou presque sur l’échiquier politique trouvait normal que le secteur marchand n’occupe dans l’hospitalisation que des créneaux subsidiaires. Aujourd’hui, le danger que nous pressentons est que le service public hospitalier soit marginalisé et perde, après sa chirurgie, ses activités médicales et obstétricales courantes. Pour autant, un service public fort ne veut pas dire un service public galvaudé : si l’on écoutait certains, toutes les prestations de santé relevant du même degré de priorité, elles devraient être sans exception assumées par le service public et socialisées par l’assurance maladie. A cette aune, le service public à force d’être partout risquerait d’être nulle part. Il est donc indispensable de tracer clairement son périmètre.

Puisque derrière chacune de ces questions il y a des choix politiques, il est crucial que l’année 2007 soit celle du service public. Afin que les décisions essentielles, qui engagent durablement le mode de vie des citoyens et la société dans laquelle ils vivent, ne soient pas prises… sans eux.

 


[1] aux adeptes du modèle nord-américain et de Tocqueville, je recommande vivement la lecture d’une lumineuse tribune, Irréductible intérêt général, signée dans AJDA du 9 octobre 2006 par Martine Lombard, professeur à Paris-II Panthéon-Assas.