Cinq années de gouvernement Jospin avaient consenti au budget de la santé (ONDAM) pour environ 19 milliards d’€ de mesures nouvelles : CMU, sécurités sanitaires, actions ciblées, protocoles, accords ARTT, amélioration de pouvoir d’achat des professionnels. Soit un volume annuel de 4,8 Mds€ et un taux de progression de + 5,1 %. Pour certains il était alors de belle attitude de considérer que le compte n’y était pas. Tandis qu’au contraire économistes et vigiles de la maîtrise comptable en déploraient la répartition non sélective et non structurante et la fuite en avant qu’elles démontraient. Mais tant que la croissance surfait au-dessus de 2 % et le chômage un tant soit peu régressait, qui donc allait écouter ces sempiternels pessimistes ? Dans cette masse 5,7 Mds€ augmentèrent les dotations hospitalières ; soit annuellement + 1,4 Md€ au rythme de + 3,7 %.
Puis vint l’alternance. Le nouveau gouvernement se mit au travail, tout environné de clameurs quant à l’extrême dénuement de l’outil sanitaire français, de lamentations déchirantes quant à la paupérisation des classes laborieuses de santé, de pronostics épouvantés quant à l’avenir, demain du système et après-demain de la santé elle-même. Alarmisme spontané ou malice préméditée ? Doléances récurrentes ou rouerie récidivante ? A qui gémirait le plus fort iraient sans doute les plus grosses rallonges et il fallait être le plus triste, le plus couvert de cendres au chœur des lamentations.
Du coup, les nouveaux responsables de la santé, toute maîtrise comptable bue, loin de s’interroger à haute et intelligible voix quant à savoir pourquoi les précédentes semailles à tous vents n’avaient provoqué que récolte apparemment gâchée, rempochèrent leurs calculettes et s’efforcèrent de démontrer que désormais la santé publique ne passerait plus sous les fourches caudines de Bercy. Les annonces sonnantes et trébuchantes se succédèrent : consultation à 20 €, rémunération des gardes libérales, moyens massifs mobilisés sur la santé publique. En deux exercices 2002-2003, l’ONDAM s’accroît ainsi à nouveau de 11 Mds€, dont 2,7 Mds€ pour les dotations hospitalières. Sans compter les annonces dont l’impact en loi de financement de la sécurité sociale est encore à venir : ainsi du plan « Hôpital 2007 » chiffré à 6 Mds€ sur cinq ans, de la loi Santé publique… Volume et taux annuels moyens restent identiques à ceux de la législature révolue, même si, gage consenti à la médecine libérale oblige, la progression est moins marquée sur le secteur hospitalier.
Mais avant que ne soient retombés vents de sables et rideaux de fumée, que n’aient cessé les tintamarres et les tambours de guerre, il ferait bon, braves gens, de méditer à quelques signes précurseurs : l’APA se dégonfle à vue d’œil [1], l’enveloppe « soins » des conventions triparties échoue au rebut des plis non acheminés… S’il ne faut ni augmenter la CSG (MEDEF oblige) ni accroître le déficit (Bruxelles y veille) ni charger les dépenses publiques (la Bourse a ses vapeurs), ni remettre en cause les 35 heures (les syndicats sont sur leurs gardes) comment va-t-on tenir toutes ces promesses ? Ce ne sont pas les efforts du Dr Mattéi, si courageux et pertinents soient-ils en dépit de critiques un peu courtes (développement des génériques, déremboursement des SMR nuls, modérés ou faibles, économies sur certaines structures) qui vont rétablir la balance : on manie là les millions, pas les milliards.
A moins que, à l’instar du mécanisme utilisé pour le budget de la recherche, ne soient dressés des empilements de chiffres en trompe l’œil : les Mds€ annoncés ne seront finalement nouveaux… qu’en tant qu’agrégats comptables, les dépenses existant déjà mais éclatées sur diverses rubriques budgétaires. A la guerre, l’impact psychologique de la communication (on disait déjà pendant la der des der : Le Communiqué) est une arme stratégique. Elle enjolive la chronique des batailles gagnées. Mais elle peut aussi, à l’heure de suspendre l‘offensive, faute de percée décisive ou par manque de munitions, servir à camoufler un repli « élastique » sur des positions… évidemment soigneusement préparées à l’avance.
[1] alors même que l’argument avancé pour opérer ce repli en rase campagne « on en avait sous-estimé l’impact », se réduit finalement à peu en regard des chiffres précités : 1,2 Md€