Livre : Sociologie du changement dans les entreprises et les organisations – 2004

Indispensable.

Quelle est la qualité de l’ouvrage qui d’emblée saute aux yeux ? D’être parfaitement lisible : une chance pour le non sociologue, un plaisir pour le profane, une leçon magistrale pour qui aurait décrété, stupidement, que la sociologie ne sert à rien qu’à épater le gogo dans des colloques. La lecture commencée, vous ne pourrez que la mener au bout, tant elle ouvre de perspectives à votre réflexion.

L’auteur démontre avec conviction que le changement repose sur les acteurs, et combien est arbitraire ou idéologique l’affirmation selon laquelle ces acteurs sont forcément passifs, hostiles ou inertes. Il réduit à ce qu’il est : un déterminisme évolutionniste dogmatique, le « principe » ânonné à tort et à travers « qui ne change pas meurt », alors qu’il faut, toujours, analyser, comprendre, poser la question de la pertinence du changement.

Et si ce changement est souvent initié par les responsables, il ne se réalise que lorsque les individus ou groupes l’acceptent. Il n’existe pas de « lois » du changement, parce que celui-ci est une combinaison toujours particulière entre contraintes externes, institution et acteurs. La connaissance de ce qu’il faut « changer » ne peut être fondée que sur l’observation attentive… et sur la parole de ceux qui vivent les situations de travail.

Le chapitre consacré à la norme intéressera évidemment au plus près les hospitaliers en prise avec l’accréditation, c’est-à-dire tous. C’est l’usage des normes qui est obligatoire, non leur contenu, celui-ci devant être constamment référé à la situation. La norme sert à diriger la conduite, non à l’imposer ; elle doit laisser aux acteurs une liberté d’interprétation. L’auteur nous ouvre un nouveau champ de réflexion quand il montre comment, dans certaines entreprises, le changement consiste à … diminuer les règles écrites en construisant de nouvelles normes orales !

Dans la même veine de déconstruction des a priori idéologiques, il nous raconte comment les PTT, symbole pourtant de la structure bureaucratique rigide et pyramidale, ont cependant conduit dans les années 1970 une évolution et une innovation qui les ont placés à l’un des tout premiers rangs dans le monde.

L’ouvrage contient une bonne – c’est-à-dire non simpliste – définition de la gouvernance d’entreprise. Il délivre une leçon, que nous devons longuement méditer, sur les « idées dominantes », universellement admises sans être vraiment éprouvées, souvent purs effets de mode et d’imitation, qui fondent intellectuellement la bureaucratie et son concept ambigu de rationalité.

Tout aussi intéressant est l’historique du concept de démarche qualité. Ou encore la démonstration que des choix apparemment objectivement techniques, tels celui des ERP en informatique (dont le taux d’échec demeure élevé), sont en fait étroitement liés au modèle d’entreprise explicitement ou implicitement retenu. Or le grand danger du « modèle universel » réside dans le rejet qu’il implique de la diversité des rationalités.

La sociologie ici n’est pas triste, lorsqu’elle nous rappelle que Lindblom disait dès 1959 que le changement dans les organisations était d’abord une science de la débrouillardise, demandant que l’on cesse d’empiler des préceptes compliqués et de construire des usines à gaz. Elle conduit à la sagesse aussi : le démarrage d’une opération de changement devrait apparaître autant dans la continuité que dans la rupture, car le changement repose sur des racines.

Philippe Bernoux
septembre 2004 – 305 pages – 22 €
Editions du Seuil
27, rue Jacob – 75006 PARIS
www.seuil.com