Edito DH N° 115 octobre 2007 : Encore un petit plan, pour voir ?

Un spectre hante l’Europe : celui des dépenses sociales et de santé. Les puissances de la vieille Europe sauf une se sont unies pour les réduire. Et pourtant, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, la part de PBI que les nations européennes victorieuses ou vaincues décidaient de leur affecter était un signe extérieur, sinon de prospérité en tout cas de volonté démocratique et d’intelligence prospective. Les générations au travail étaient fières de distraire une fraction significative de leur production de richesse à la protection de celles qui les avaient précédées et à l’épanouissement de celles qui suivaient. Ainsi fut fondée une sorte de contrat de bon usage des ressources pour le sanitaire et le social (car à l’époque aucun esprit supérieur n’avait encore songé à séparer ces deux domaines).

De quand donc datent l’inflexion idéologique et la connotation négative ? De beaucoup plus longtemps que ne le croient certains. Thatcher, bien sûr ! Mais avant elle et dans notre beau pays lui-même, feu Raymond Barre un jour de septembre 1976 décréta la rigueur et – j’ai le souvenir direct de certaines séances de mortification en préfecture – les dépenses de santé furent mises au ban. Mais le meilleur économiste de France ne créait pas une totale rupture idéologique : 9 ans plus tôt, en 1967, une ordonnance – déjà ! livrait l’assurance maladie à la technocratie pour ses promesses de rationalisation financière…

C’est donc depuis 40 années qu’on culpabilise sur les prélèvements obligatoires. Et que la machine… à faire du sur-place s’est emballée. Combien de plans ! Le dernier en 2004 devait être le bon, si d’aucun voulaient en croire M. Douste.

Il y avait, dans la constance à stigmatiser, à prospectiver puis… à ne rien résoudre une continuité impressionnante. Une nouveauté toutefois vaut d’être relevée : il n’est plus besoin d’attendre une alternance gauche / droite pour entendre le nouveau ministre démystifier la précédente non-réforme. Désormais, quand un ministre remplace un autre ministre, de la même famille politique, il s’empresse de susciter un audit calamiteux pour valoriser par contraste l’ampleur de la tâche qui l’attend. C’est ainsi qu’aujourd’hui nous voici en faillite, dixit le Premier qui pourtant fut aux affaires sociales …

Mais ce qui est le moins compréhensible dans cette longue séquence historique, ce n’est pas la progression inexorable des chiffres ; c’est le peu de progrès accomplis dans la mise au net de quelques concepts simples. Ainsi récemment, un esprit aussi brillant que M. Attali assurait que, parmi les trois grands déficits – Assurance maladie, Etat, commerce extérieur – le premier ne le choquait pas, car les Français consacrent à la santé la part de dépenses qui leur convient. Sauf que manifestement M. Jacques confond dépenses et déficit. S’il est plausible de soutenir que nos concitoyens sont libres de laisser croître leurs frais de santé au même rythme que leurs budgets loisirs ou téléphone portable, il est intolérable que cela se fasse à crédit, que la dette soit transférée sur nos enfants.

C’est évidemment la question centrale. Qu’on s’accorde sur cela, on n’aura rien réglé concrètement, mais au moins le problème sera mis en perspective. Et les arbitrages pourront commencer.

Les dépenses ? Sont-elles excessives en soi du fait des gaspillages ? Mais l’évaluation du pourcentage à gagner là varie du simple au décuple, selon qu’on a une vision purement technique des dysfonctionnements, ou qu’on aborde leur dimension socio-politique (combien coûtent les fraudes, de l’assuré… et des professionnels, est-il moral de mener grand train de vie quand on exerce dans ce secteur ?)

Les remboursements ? Faut-il se focaliser sur leur volume et se désintéresser du « reste à charge » qui ne relèverait plus que d’un choix du consommateur éclairé ? Libéralisme bien-pensant. On connaît la fable « du renard libre dans le poulailler libre ». Va-t-on nous conter maintenant celle des malades ou handicapés s’assumant de leur plein gré, dans une société où maladie et invalidité se répartiraient égalitairement au petit malheur la chance et où la faculté de payer se distribuerait équitablement ?

Les recettes ? S’il est irresponsable d’augmenter les cotisations, est-il sot alors de songer à une TVA sociale ? Mais ceux qui croient l’idée toute neuve et éclose du dernier printemps se gourent, se gourent : en fin d’années 70 déjà, des professionnels de santé et quelques séances thématiques de congrès ou d’assises planchaient sur la fiscalisation des dépenses…

Au-delà de l’ironie facile sur l’incapacité flagrante à régler la question, reste l’impératif de s’atteler à dégager des consensus : pas d’emblée sur les solutions, mais d’abord sur les définitions. Peut-être alors commencera-t-on à pressentir que, dans le domaine de la santé et du social, où souffrance, misère et détresse sont souvent associées, avant que de vouloir économiser, il faut déterminer ce qu’il est indispensable de faire pour le plus grand nombre. Que cette hiérarchisation des priorités est une chose trop sérieuse pour être confiée aux économistes, encore moins à ceux qui y ont intérêt personnel. Qu’une « Haute autorité des politiques sanitaires et sociales opposables » devrait se composer uniquement d’élus, de représentants des patients, de personnalités de la médecine, du social et de l’éthique.