Chaque fois que je referme un livre de Svetlana Alexievitch, je suis pour longtemps imprégné d’une double admiration :
▪ Pour le style de l’écrivaine, qui à première vue n’en a aucun puisque ses récits sont constitués d’un assemblage kaléidoscopique d’entretiens, d’entrevues, de translations de brèves discussions avec des Russes, témoins qu’elle semble simplement laisser parler.
Pourtant, évidemment non, car la manière dont ces propos sont transcrits semble-t-il mot à mot, le choix des témoignages et l’ordre dans lequel ils sont disposés relève évidemment du plus grand art de l’écriture, un travail magistral qui sait se rendre parfaitement invisible.
▪ Pour le peuple Russe, qui a survécu à tout ce qu’on pouvait envisager de pire dans l’histoire des deux derniers siècles : le despotisme tsariste associé à la macération dans le cléricalisme le plus obscurantiste, l’alliance du sabre et du goupillon ; les massacres de la Première guerre mondiale ; la guerre civile, les exodes, les famines ; la barbarie hitlérienne et ses crimes gigantesques ; l’indicible cruauté du stalinisme, les exécutions, encore exécutions, pour les chanceux les camps, encore les camps.
Et ce Peuple a tenu et c’est ce Peuple qui nous a libérés du nazisme.
Alors, après avoir vu le film de Kantemir Balagov je songeais irrésistiblement à Svetlana Alexievitch.
Parce qu’il nous donne à voir le même type de héros soviétiques ; des héroïnes en l’occurrence : deux jeunes femmes, Iya (Viktoria Miroshnichenko) et Masha (Vasilisa Perelygina) qui en 1945 veulent non seulement survivre mais revivre dans Léningrad dévastée et affrontent le destin national et leurs destinées personnelles.
Parce qu’au-delà de ces deux personnages centraux, le film fait apparaître une kyrielle de héros du quotidien et que, sans pesante pédagogie, il nous fait approcher par des séquences croisées l’essence de l’âme Russe.
Parce que la réalisation de Balagov est tout aussi splendide que l’écriture d’Alexievitch.
Parce qu’enfin, et surtout, les deux, le cinéaste et l’écrivaine, aiment passionnément leur peuple, c’est pour cela qu’ils en parlent si bien.
9 août 2019