Je viens de terminer la lecture du recueil Œuvres de Svetlana Alexievitch, contenant trois récits : La guerre n’a pas un visage de femme, Derniers témoins et La Supplication (Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse), auquel j’ai ajouté La Fin de l’homme rouge ou le Temps du désenchantement, également paru chez Actes Sud, son remarquable éditeur français attitré.
Ces ouvrages ont été publiés en 2016 : donc j’ai mis huit ans pour les lire ! Les relire une troisième fois, plutôt, tellement ils sont denses ; et puis on ne peut les lire trop vite, en diagonale, ou à la file, tant ils sont prenants. Quatre œuvres, donc pas même la moitié de ses livres traduits…
On connaît la méthode utilisée par la Prix Nobel de littérature 2015 : enregistrer au magnétophone des dizaines de témoignages de personnes lambdas ayant directement vécu les situations évoquées et les transcrire dans un style simple et direct, sans modifier leurs expressions.
Svetlana Alexievitch est de père biélorusse et de mère ukrainienne ; nombre de membres de sa famille ont été tués lors de la guerre patriotique contre l’envahisseur nazi. Avant comme après la désintégration de l’URSS, elle n’appartint pas à la sphère des intellectuels contestataires alors appelés dissidents. Elle est néanmoins tenue en suspicion par le régime biélorusse de Loukachenko qui officiellement se félicite de son Prix Nobel.
Le courant pro-russe minoritaire mais actif qui s’exprime dans nos pays d’Europe de l’Ouest ne lui pardonne pas d’avoir condamné la politique de Poutine envers l’Ukraine dès le début de la crise de Crimée en 2014, malgré la nuance qu’elle exprima : « Il est terrible qu’au lieu de discuter les gens commencent par se tirer dessus. Mais je ne dis pas qu’il ne s’agit que du peuple russe. » Car pour elle, qui le connaît de si près « Le monde russe est bon, son humanité comme tout ce qu’il a toujours vénéré jusqu’à présent : sa littérature, ses ballets, sa grande musique. Ce qui n’est pas aimé, c’est le monde de Beria, Staline, Poutine et de Sergueï Choïgou. »
La quasi-totalité des milieux littéraires occidentaux saluent sa méthode d’interview et de prose documentaire. Quelques-uns au contraire (dont certains évidemment en raison de ses prises de positions) la mettent en question pour pratiquer un journalisme spéculatif tendancieux qui dénaturerait les témoignages qu’elle prétend rapporter objectivement et qui n’est pas fondé sur une perspective critique et historique.
A quoi Svetlana Alexievitch répond simplement qu’elle ne fait du journalisme que pour recueillir des matériaux et en tirer de la littérature.
Je n’ai évidemment pas l’ombre d’une compétence pour apprécier les caractéristiques « objectives » de ses transcriptions et le dessein « non tendancieux » qu’elle poursuit. Mais j’aime la grande littérature que nous livre Svetlana Alexievitch et la libre réflexion à laquelle elle nous conduit quant aux misères et grandeurs de l’admirable peuple russe.
6 août 2024