2024 06 02 : Achille Mbembe, lisez-le et faites le connaître !

Selon mes informations, Achille Mbembe, Camerounais de ma génération, historien, sociologue, anthropologue, politologue, est assez peu lu en France.

Est-ce une conséquence d’un racisme insidieux dans les milieux de l’édition ? Je ne le pense pas, car plusieurs éditeurs, le plus souvent de gauche (Le Monde diplomatique, Politique africaine, L’Harmattan, Karthala, Actes sud, La Découverte) on publié une douzaine de ses ouvrages.

C’est peut-être parce qu’Achille Mbembe, au-delà des lieux devenus communs de l’anticolonialisme conventionnel, des postures proclamatrices des droits humains universels, analyse avec lucidité les formes nouvelles plus subtiles du postcolonialisme.

Analyse initialement fondée sur sa pratique de terrain du Nord-Cameroun et son expérience personnelle, plusieurs de ses proches (Ruben Um Nyobè, Pierre Yem Mback) ayant été assassinés par la puissance coloniale l’année de sa naissance, en 1958.

Engagé dans la JEC, mouvement catholique modéré, il consacra néanmoins son mémoire de maîtrise aux violences qui marquèrent le processus de décolonisation du Cameroun. Pour cette raison, lâché par les autorités académiques, il dut quitter son pays. A Paris entre 1982 et 1986, il prépara un doctorat d’histoire à l’université Panthéon-Sorbonne et un DEA en science politique à l’Institut d’études politiques.

Puis il exerça pendant dix ans comme professeur dans diverses universités des États-Unis, ensuite à Dakar, puis au Cap et à Johannesburg en Afrique du Sud.

Ses travaux incisifs portent essentiellement sur la postcolonie et l’influence subséquente de la colonisation sur les nouvelles élites politiques africaines. Il se défie de la revendication de la différence de certains intellectuels africains, une réaction pour échapper à la négation de soi imposée par « l’universalisme » colonial, mais qui traduit aussi la peur de l’autre.

Il affirme que les démocraties devraient se fonder sur une politique de la mise en commun, du soin et de la réparation et sur la mobilité, qu’il appelle l’éthique du passant, concept selon lequel circuler et séjourner librement est la condition indispensable au partage du monde ; et où l’être humain pourrait se définir autrement que par ses étroites caractéristiques de naissance, de nationalité et de citoyenneté.

Pour lui les frontières sont donc évidemment funestes en ce qu’elles séparent les groupes humains et génèrent la peur des « remplacements », envahissements et autres idéologies nécessaires à la domination politique, jusqu’à l’épuration ethnique et ses crimes.

En 2024, Achille Mbembe est lauréat du prestigieux Prix Holberg, institué par le parlement norvégien en 2003, décerné annuellement à un chercheur de premier plan en lettres et sciences humaines, en sciences sociales, en sciences juridiques ou en théologie, ayant influé de façon décisive sur les recherches internationales.

2 juin 2024