2022 12 20 : La musique rapproche-telle les êtres ?

On le croit, moi le premier. C’est très souvent vrai, c’est parfois illusoire. L’aspiration naturelle des êtres humains est de vouloir vibrer ensemble à une musique (comme d’ailleurs à un match de rugby ou à un évènement artistique).

Mais parfois on s’aperçoit (moi le premier) que cela ne fonctionne pas, ou pas entièrement.

J’ai eu des amis de jeunesse avec lesquels nous nous disputions (et parfois avec une sévérité juvénile péremptoire mais sans gravité) parce que l’un trouvait que tel chanteur était « sublime » et l’autre le tenait pour « une m… ». Parce que l’un considérait un interprète comme « le meilleur du monde » et l’autre comme un bricoleur de partition. Bisbilles coutumières à la jeunesse, mais que la musique, donc, ne déjoue pas.

J’ai une amie brésilienne passionnée de toutes les musiques : musique « classique », jazz, blues, musiques « du monde »… sauf le fado portugais ; et elle moque avec une farouche sincérité ma passion pour ce genre musical. J’ai deviné que ce mépris tient sans doute à des raisons historiques successivement inversées : la morgue du Portugal colonialiste pour sa « possession » brésilienne, puis de nos jours la commisération du Brésil pour le Portugal supposé végéter et stagner aux plans économique et culturel. Donc il y a des bases objectives, politiques, à cette incompréhension entre les deux pays. N’empêche que la musique ne les rapproche nullement : sauf louables exceptions, leurs genres musicaux s’ignorent.

J’ai connu des instrumentistes remarquables (que j’admirais, moi qui suis d’une nullité absolue et rédhibitoire)… mais qui avaient des gouts musicaux moins amples que les miens, car restreints au répertoire qu’ils pratiquaient.

Pourtant, je ne peux me résoudre à penser qu’écouter de la musique soit un plaisir égoïste, monomaniaque, solitaire, car je sais en consultant les chiffres de ventes ou d’affluence dans les concerts que nous sommes des milliers, parfois des millions, à vibrer pour le même compositeur, la même œuvre, le même interprète… Et puis, ne l’oublions pas, il y a aussi la communion directe entre celle ou celui qui joue et celui ou celle qui écoute ; l’admiration pour celles et ceux qui nous transmettent et leur profonde satisfaction envers ceux et celles qu’ils réussissent à faire vibrer.

Baudelaire – Les fleurs du Mal – LXIX LA MUSIQUE – Georges Chelon 1997

20 décembre 2022