Spleen et idéal : LXXIII – LE TONNEAU DE LA HAINE

La Haine est le tonneau des pâles Danaïdes [1] ;
La Vengeance éperdue [2] aux bras rouges et forts
A beau précipiter dans ses ténèbres vides
De grands seaux pleins du sang et des larmes des morts,

Le Démon fait des trous secrets à ces abîmes,
Par où fuiraient mille ans de sueurs et d’efforts,
Quand même elle saurait ranimer ses victimes,
Et pour les pressurer ressusciter leurs corps [3].

La Haine est un ivrogne au fond d’une taverne,
Qui sent toujours la soif naître de la liqueur
Et se multiplier comme l’hydre de Lerne [4].

— Mais les buveurs heureux connaissent leur vainqueur,
Et la Haine est vouée à ce sort lamentable
De ne pouvoir jamais s’endormir sous la table.

Georges Chelon 1997

[1] Mythologie grecque : les Danaïdes furent condamnées à remplir d’eau éternellement un tonneau percé, pour avoir assassiné leurs maris lors de leur nuit de noces.
[2] Egarée.
[3] Mythologie grecque : allusion à Erictho qui saignait des cadavres pour ressusciter des morts.
[4] Mythologie grecque : l’hydre (sorte de méduse) des marais de Lerne ravageait le pays. Elle avait 9 têtes, dont 8 mortelles et la 9ème immortelle. C’est Héraclès (Hercule) qui parvint à la tuer.