Spleen et idéal : LXXII – LE MORT JOYEUX

Dans une terre grasse et pleine d’escargots
Je veux creuser moi-même une fosse profonde,
Où je puisse à loisir étaler mes vieux os
Et dormir dans l’oubli comme un requin dans l’onde [1].

Je hais les testaments et je hais les tombeaux [2] ;
Plutôt que d’implorer une larme du monde,
Vivant, j’aimerais mieux inviter les corbeaux
À saigner tous les bouts de ma carcasse immonde.

Ô vers [3] ! noirs compagnons sans oreille et sans yeux,
Voyez venir à vous un mort libre et joyeux ;
Philosophes viveurs [4], fils de la pourriture,

À travers ma ruine [5] allez donc sans remords,
Et dites-moi s’il est encor quelque torture
Pour ce vieux corps sans âme et mort parmi les morts !

Georges Chelon 1997

[1] L’eau en terme littéraire.
[2] Peut-être ici au figuré : pièces écrites en hommage, à la mémoire d’un personnage illustre (cf. vers suivant).
[3] Au sens ici de vers de terre.
[4] Qui aiment jouir de tous les plaisirs, de tous les agréments de la vie.
[5] Au sens propre de disparition, écroulement, ou encore dépouille, cadavre.