Galanteries : XI – LES PROMESSES D’UN VISAGE

J’aime, ô pâle beauté, tes sourcils surbaissés,
D’où semblent couler des ténèbres ;
Tes yeux, quoique très-noirs, m’inspirent des pensers [1]
Qui ne sont pas du tout funèbres.

Tes yeux, qui sont d’accord avec tes noirs cheveux,
Avec ta crinière élastique,
Tes yeux, languissamment [2], me disent : « Si tu veux,
Amant [3] de la muse [4] plastique [5],

Suivre l’espoir qu’en toi nous avons excité,
Et tous les goûts que tu professes,
Tu pourras constater notre véracité
Depuis le nombril jusqu’aux fesses ;

Tu trouveras au bout de deux beaux seins bien lourds,
Deux larges médailles de bronze,
Et sous un ventre uni, doux comme du velours,
Bistré comme la peau d’un bonze,

Une riche toison qui, vraiment, est la sœur
De cette énorme chevelure,
Souple et frisée, et qui t’égale en épaisseur,
Nuit sans étoiles, Nuit obscure ! »

Georges Chelon 1997

Charles Baudelaire, 1862 par Edouard Manet

[1] Archaïsme pour pensées.
[2] Faiblement, avec fatigue ou lassitude.
[3] Au sens ancien de amoureux.
[4] L’inspiratrice de l’artiste.
[5] Toutes les branches de la sculpture, de la peinture et du dessin.