Comme un bétail pensif sur le sable couchées,
Elles tournent leurs yeux vers l’horizon des mers,
Et leurs pieds se cherchant et leurs mains rapprochées
Ont de douces langueurs [1] et des frissons amers.
Les unes, cœurs épris des longues confidences,
Dans le fond des bosquets où jasent [2] les ruisseaux,
Vont épelant l’amour des craintives enfances
Et creusent le bois vert des jeunes arbrisseaux [3] ;
D’autres, comme des sœurs, marchent lentes et graves
À travers les rochers pleins d’apparitions,
Où saint Antoine [4] a vu surgir comme des laves
Les seins nus et pourprés de ses tentations ;
Il en est, aux lueurs des résines croulantes [5],
Qui dans le creux muet des vieux antres païens
T’appellent au secours de leurs fièvres hurlantes,
Ô Bacchus [6], endormeur des remords anciens !
Et d’autres, dont la gorge [7] aime les scapulaires [8],
Qui, recélant un fouet sous leurs longs vêtements [9],
Mêlent, dans le bois sombre et les nuits solitaires,
L’écume du plaisir aux larmes des tourments.
Ô vierges, ô démons, ô monstres, ô martyres,
De la réalité grands esprits contempteurs [10],
Chercheuses d’infini, dévotes [11] et satyres [12],
Tantôt pleines de cris [13], tantôt pleines de pleurs,
Vous que dans votre enfer mon âme a poursuivies,
Pauvres sœurs, je vous aime autant que je vous plains,
Pour vos mornes [14] douleurs, vos soifs inassouvies [15],
Et les urnes [16] d’amour dont vos grands cœurs sont pleins !
Georges Chelon 1997