Nous voici en Italie, en douce et raffinée Toscane… sauf que c’est à la pire époque que la péninsule ait sans doute connue : vers 1630. La deuxième pandémie de peste emporta trois millions d’âmes, 35% de la population. Période troublée, le mot est faible : on sait par des récits historiques et littéraires combien les esprits, les comportements, les structures politiques, économiques et sociales furent ébranlés par ce fléau qu’on ne savait ni guérir ni même un tant soit peu prévenir par les mesures de quarantaine.
C’est dans ce contexte épouvantable qu’une jeune fille, Benedetta Carlini, entre au couvent à Pescia.
Elle serait capable de faire des miracles ; et donc son arrivée dans cette communauté va bouleverser la vie des nonnes, mais pas uniquement dans l’ordre surnaturel, car Benedetta est jolie, sensuelle, tendance lesbienne affirmée.
Présenté sommairement ainsi, ce film de Paul Verhoeven va vous paraître a priori un scandale, un de plus, surfant sur l’air érotico-raffiné des temps qui courent.
C’est évidemment mal connaitre ce réalisateur exigeant : non, il ne nous livre pas ici la septième resucée filmée des Fifty Shades of Grey ou Darker ou Freed de la roublarde E. L. James, ni un cliché flou sorti de la naphtaline des années 70-80 du non regretté car peu regrettable éroti-toc-pédophilant David Hamilton.
Non, ce film tiré du livre de Judith C. Brown est superbe.
Car Verhoeven sait avec un talent sans faille progresser sur le fil du rasoir, entre transcendance de la foi et plaisir charnel ; entre modernisme et sulpicianisme kitsch ; entre mysticisme et sensualisme ; entre amer venin et nectar délicieux ; entre psychologie intime et charge politique ; entre pessimisme lucide et ironie acérée.
Bref il pulvérise, sans tintamarre scandaleux, mais tout en conviction lentement amenée, la frontière qui oppose encore, chez tant de nos semblables, le corps et l’esprit, le noble et le trivial.
Et puis les actrices ! Les acteurs ! Charlotte Rampling est magistrale dans le rôle de la Sœur Abbesse Felicita ; Virginie Efira donne magnifiquement chair et âme à l’héroïne Benedetta ; Lambert Wilson est plus vrai que nature, du moins tel qu’on imagine qu’il pouvait l’être, en nonce du pape hypocrite et cauteleux. Et les « seconds rôles » ne sont certes pas des acteurs de second ordre.
15 juillet 2021