2019 04 02 : Apollinaire, premier poète du XXe siècle

Quand j’étais ado, je tenais ce cher Guillaume pour le plus grand poète du XXe siècle, devant son contemporain Paul Valéry ; devant ceux de la génération suivante Aragon, Soupault, Tzara, Breton, Desnos, Péret ; loin devant les poètes alors à la mode comme Eluard et Char.

Il y a longtemps que je ne m’amuse plus à cette manie scolaire du classement et des prix d’excellence. Mais maintenant que ce siècle est clos, le relisant je maintiens cette préférence de jeunesse, sans cette fois rabaisser les autres.

Ce miraculeux poète fut le seul écrivain à ma connaissance à avoir poétisé la Guerre de 14-18. Petit exemple, en quelques mots sans emphase, comme toujours :

« Et toi mon cœur pourquoi bats-tu
Comme un guetteur mélancolique
J’observe la nuit et la mort » [1]

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Ce n’est pas l’horrible conflit qui aura la peau du poète… mais la grippe espagnole, le 9 novembre 1918.

Mais bien sûr les poèmes qui me touchaient le plus étaient les magnifiques Poèmes à Lou ; ou la modernité d’Alcools avec ses joyaux Marie et La Chanson du mal-aimé ; et puis les Calligrammes, quelle trouvaille !

Et comment ne pas lire sans émotion son recueil posthume Le Guetteur mélancolique ?

Marie

Vous y dansiez petite fille
Y danserez-vous mère-grand
C’est la maclotte qui sautille
Toute les cloches sonneront
Quand donc reviendrez-vous Marie

Les masques sont silencieux
Et la musique est si lointaine
Qu’elle semble venir des cieux
Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine
Et mon mal est délicieux

Les brebis s’en vont dans la neige
Flocons de laine et ceux d’argent
Des soldats passent et que n’ai-je
Un cœur à moi ce cœur changeant
Changeant et puis encor que sais-je

Sais-je où s’en iront tes cheveux
Crépus comme mer qui moutonne
Sais-je où s’en iront tes cheveux
Et tes mains feuilles de l’automne
Que jonchent aussi nos aveux

Je passais au bord de la Seine
Un livre ancien sous le bras
Le fleuve est pareil à ma peine
Il s’écoule et ne tarit pas
Quand donc finira la semaine [2]

Par contre j’étais et je suis resté insensible à sa prose et à son théâtre. Nul lecteur n’est parfait.

Quelques-uns des poèmes de Guillaume ont été superbement chantés par Léo Ferré:

Léo Ferré – Le Pont Mirabeau (Alcools) – 1953

Léo Ferré – Marie (Alcools) – 1972

Léo Ferré – Marizibill (Alcools) – 1984

Léo Ferré – Les cloches – La Tzigane (Alcools) – 1986

2 avril 2019

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[1] Premier poème du Guetteur mélancolique – Pléiade Œuvres poétiques page 505
[2] Alcools – Pléiade Œuvres poétiques page 81