L’Atelier des Lumières a ouvert ses portes récemment, en avril 2018. Il occupe les locaux d’une ancienne fonderie (d’où le premier terme de son nom) dans un quartier désormais ultrabranché : rue Saint-Maur dans le 11e arrondissement.
Le lieux est d’abord intéressant pour lui-même : architecture industrielle du XIXe siècle, belle structure métallique conservée dans son état originel, avec sa cheminée, sa tour de séchage, son bassin, son réservoir d’eau.
L’exposition ? Le mot est sans doute excessif car vous ne contemplerez aucune œuvre picturale originale, aucun vrai tableau. Elle est composée de centaines d’images numérisées, projetées en tous sens, sur toutes les surfaces de la halle, murs, plafonds, sol, et qui se succèdent en fondu enchaîné (d’où le deuxième terme de son nom).
L’exposition, la représentation faudrait-il donc plus exactement dire, se déclare « immersive » et ce n’est pas là abus de langage publicitaire, car nous sommes plongés dans l’image et le son. C’est une réelle innovation rendue possible bien sûr par les progrès remarquables de la numérisation, des techniques de projection laser et secondairement d’une sonorisation impeccable.
Pour cette représentation inaugurale, c’est Gustav Klimt qui a été retenu, avec en complément deux autres Viennois : Egon Schiele et Friedensreich Hundertwasser.
« Réelle innovation » ? uniquement pour le Parisien lacunaire que je suis. Car cet Atelier des Lumières est le frère cadet des Carrières de lumières aux Baux-de-Provence qui fonctionne depuis six ans.
Bien sûr il y a un arrière-plan financier à ce lieu culturel : L’Atelier des Lumières est géré par Culturespaces, qui n’est pas un débutant puisqu’il gère déjà deux musées privés : Jacquemart-André et le Musée Maillol. Culturespaces est une filiale d’Engie (ex GDF Suez, ex Lyonnaise des eaux). Le savoir-faire technique lui vient du département d’ingénierie d’Havas… Mais quel musée, quel lieu culturel, quel organisateur d’évènementiel, privé ou même public, échappe aujourd’hui sinon à l’emprise, en tout cas au mécénat ou au soutien, du monde de la finance ? Tout un débat… vieux de sept ou huit siècles, d’ailleurs.
Revenons à la dimension esthétique de la représentation. Je l’ai trouvée remarquablement réussie, impeccablement mise au point.
Pourtant dans les milieux culturels sourcilleux, les critiques ne manquèrent pas : « esbroufe, poudre aux yeux, banal son et lumière, divertissement tapageur, mauvaise soupe esthétique » etc.
J’ai cru relire dix, vingt, cent polémiques identiques depuis des décennies, chaque fois qu’une initiative de vulgarisation est lancée. Que ce soit en musique, en théâtre, en littérature, en arts plastiques. Ainsi les cultureux du vase clos ont-ils mis à leur pilori chéri les Jérôme Savary, Jérôme Deschamps, Bernard Pivot, François Busnel, le Centre Beaubourg, la Fondation Louis Vuitton, Ève Ruggiéri, Jean-François Zygel… j’en passe car ils sont nombreux.
Nombreux et c’est heureux : la vulgarisation (quel vilain mot !) lorsqu’elle attire et séduit un vaste public, dix, cent fois plus vaste que le cercle des amateurs avertis, sert alors son objet, sert la Culture, sert l’Art. C’est l’essentiel.
Et si la vulgarisation (quel mot inapproprié ! pédagogie serait plus juste) se croit obligée d’utiliser des facilités peut-être superflues (en l’occurrence je songe à quelques choix d’extraits musicaux un peu sirupeux à mon goût), ce défaut est secondaire face au succès considérable de l’entreprise : plus de 400 000 visiteurs. Soit en quatre mois déjà un tiers de la magnifique exposition Chtchoukine à la Fondation Louis Vuitton en 2017. Déjà autant que l’exposition Au temps de Klimt à la regrettée Pinacothèque en 2016.
Alors ? Alors j’attends les réalisateurs de l’Atelier des Lumières au tournant. Car Klimt se prête évidemment très facilement à ce type de mise en scène audiovisuelle. Mais ensuite ? On peut imaginer d’autres peintres flamboyants : Renoir, Van Gogh, Picasso, Chagall, la Renaissance Italienne… Nous verrons et ce sera encore, je l’espère, pour le plaisir des yeux.
25 juillet 2018