2013 12 16 : Le poète coréen (Yi Munyol)

Les civilisations d’Extrême-Orient ne nous sont pas d’un abord facile. Il est inévitable que nombre de leurs significations et de leurs finesses nous échappent. Alors la lecture peut nous aider à entrer dans ces subtilités qui nous sont a priori inaccessibles.

Yi-Munyol_8608Ainsi en est-il du roman de Yi Munyol Le Poète.

L’auteur y retrace la vie d’un personnage réel, le très grand poète vagabond Kim Byongyon (1807-1863). C’est pour une large part une fiction, puisque de celui-ci on ne sait pas grand-chose. Le grand-père du poète, gouverneur d’une province du nord, confronté à un soulèvement populaire, ne l’écrasa pas mais s’y rallia. La rébellion matée, il fut mis à mort par le pouvoir royal. Selon la règle traditionnelle, sa descendance sur trois générations était promise au même sort ; mais mis à l’abri par son père, Kim Byongyon y échappa et fut élevé clandestinement par un esclave affranchi.

Toute la puissance du livre est constituée par la relation du conflit intense, crucial pour un Coréen, que vit le poète entre sa piété filiale et son obéissance au pouvoir absolu. Le héros successivement se réfugie dans le silence, puis renie son grand-père, enfin le défend non sans provocation, avant de trouver enfin le détachement dans une sorte de synthèse minimale : devenant vagabond, il gagne le surnom de Sakkat, nom du chapeau de bambou qui le protège de la pluie tout en lui permettant, suggère la légende, de se cacher du ciel vengeur.

Le poete 417218-gfOn ne peut manquer d’imaginer combien l’auteur s’est identifié à son personnage, lorsqu’on sait qu’il est lui-même un fils de traitre, son père étant passé en Corée du Nord.

Ma méconnaissance de la pensée coréenne ne m’a pas permis de décider s’il fallait lire au premier degré, ou déceler une cruelle ironie, dans nombre de passages tels celui-ci :

« Le vent était agréablement tiède, l’herbe qui tapissait la colline verdoyait. Sur le talus de la montagne les azalées avaient fleuri comme du feu. Si l’on omet que le pays entier était plongé dans la période difficile de la disette du printemps et que les cadavres de ceux qui étaient morts de faim gisaient dans les plaines, la réunion de poésie avait lieu à un moment et dans un endroit des plus exquis. » (page 114)

Le point culminant du roman est pour moi le chapitre XXII, la rencontre avec le Vieillard Ivre qui administre au héros une leçon de poésie : « La poésie surgit seule par sa propre valeur. Elle n’a pas besoin de s’allier aux gouvernants, d’être accablée par le savoir. Elle n’a pas besoin de rendre compte de ce que pensent les riches, ni de craindre la haine des pauvres. Il ne faut pas essayer de la juger à l’aune de la justice, ni la mesurer sur la balance de la vérité. Elle s’est formée d’elle-même, elle se suffit à elle-même. »

Ici, le fossé culturel, où est-il ? On ne cesse d’attiser les conflits et les différences, entre civilisations antiques et modernes, entre mondes occidental et oriental, nouveau et vieux continents, pensée judéo-chrétienne, arabo-musulmane, africaine, océanienne, confucéenne, bouddhiste, taoïste, j’en oublie et des meilleures… Jusqu’à ce que surgisse enfin dans sa pureté l’universalité absolue des grands sentiments humains !

Ou encore cette réflexion qui nous fera songer irrésistiblement à nos François Villon ou Arthur Rimbaud : « Ceux qui vivent à la dérive ne sont pas tous des poètes, mais les poètes vivent tous à la dérive » (page 157).

16 décembre 2013