Livre : Les médicamenteurs – Labos, médecins, pouvoirs publics : enquête sur des liaisons dangereuses – 2010

Il n’est pire sourd…

Avec son record mondial de quarante boîtes de médicaments par personne et par an, la France serait peuplée de goinfres de pharmacie. Principale réplique des autorités à cette « surconsommation » : la « responsabilisation » des patients, car les cancéreux, diabétiques, cardiaques et autres insuffisants rénaux ne feraient vraiment aucun effort !

Mais qu’en est-il des autres responsables ? Des pouvoirs publics qui supervisent le marché très particulier des médicaments et commandent 94 millions de doses de vaccins contre la grippe A ? Des médecins qui ont parfois la main lourde quand ils rédigent leur ordonnance ? Des laboratoires pharmaceutiques qui n’ont pas vocation à faire de la charité publique ?

Cette enquête, publiée en avril 2010, donc plusieurs mois avant qu’éclate l’affaire du Mediator, jetait déjà une lumière crue sur le parcours des médicaments dans les méandres du système français, depuis leur évaluation au suivi des effets secondaires. Installée à tous les étages de l’État ‑ des instances qui décernent les AMM jusqu’aux cabinets des médecins et des ministres ‑ l’industrie pharmaceutique semblait alors avoir gagné la bataille d’influence et notre système de santé paraissait totalement pris au piège d’intérêts économiques n’ayant plus grand-chose à voir avec la santé publique.

Alors relisons ce livre aujourd’hui… il est sidérant : presque tout ce qui depuis a été « révélé » dans les grands médias y était déjà ! Il montrait l’obstination du sénateur François Autain, dont un rapport incisif dès 2006 n’a eu quasiment aucun écho. Il révélait les incohérences de procédures d’AMM, le jésuitisme des classements en ASMR, les cadeaux des labos, la FMC presqu’entièrement payée et donc dominée par l’industrie pharmaceutique, la grande omerta sur les conflits d’intérêts omniprésents. Omerta, oui, car à ce degré d’organisation occulte, il faut bien évoquer une mafia…

Alors une question subsiste en refermant ce livre : pourquoi la plupart des médias (et ceci vaut pour nous même) ont-ils des années durant manifesté trop peu d’attention à ce lobbying dissimulé qui se révèle être le réacteur nucléaire de la surconsommation médicamenteuse française, donc un fléau majeur de santé publique ?

Stéphane Horel est journaliste indépendante et documentariste. Elle avait publié La Grande Invasion, enquête sur les produits qui intoxiquent notre vie quotidienne aux Éditions du Moment en 2008.

Stéphane Horel
avril 2010 – 316 pages – 19,95 €
Éditions du Moment
26 avenue Marceau
75008 PARIS
www.editionsdumoment.com