Edito DH n° 123 décembre 2008 : Pas touche à la psychiatrie !

Depuis son élection, le Président de la République surfe avec réactivité sur tout fait divers venant émouvoir le peuple. Qu’y redire ? Ses prédécesseurs ne l’ont-ils pas fait avant lui ? Mais les drames survenant en contexte de maladie mentale véhiculent tant de tragédie, d’impasses affectives, d’impuissance thérapeutique, d’irréparables dégâts, qu’il vaudrait mieux ne pas y ajouter l’artifice de l’indignation ostensible et de la posture volontariste.

Sauf qu’on ne se refait pas… et que cet homme a décidément un problème avec les atrocités où la folie précipite les êtres dont elle s’est emparée : infanticides, incestes, viols, égorgements… Et qu’il ne peut supporter qu’une manifestation d’autorité verbale n’ait réponse à tout. On est consterné d’apprendre par le bouche-à-oreille que la « faute » reprochée à notre collègue du CHS de Saint Egrève aurait été de s’exprimer à la télévision sur un ton trop neutre et de ne pas payer tribut à la dictature de l’émotion ! Ravages d’une société TF 1, Voici et consorts, jusqu’au sommet de l’Etat !

Et cette tendance oh si franche à la stigmatisation, à faire un bouc émissaire de tout fonctionnaire qui se préfère encore en besogneux plutôt qu’en matamore : policier à Toulouse ou en Corse, préfet dans le 9‑3, magistrat un peu partout, hospitalier ici ou là…

Comme l’hôpital général, la santé mentale a besoin de s’adapter davantage et plus rapidement aux nouvelles formes sociales et sociétales de pathologies qui posent de considérables défis à une discipline qui n’en manquait déjà pas. Mais là, ces crimes de sang qu’on commente à satiété dans les médias… n’ont rien de nouveau : ils sont une expression ancienne et « traditionnelle » de la folie.

La préoccupation du Président de la République pour la sécurité des citoyens est légitime, mais les mesures qu’il annonce quant à l’hospitalisation sous contrainte, si elles se concrétisaient, seraient une véritable régression. Certes, la création de 160 lits d’UMD supplémentaires pour compléter le « dispositif » chétif des… cinq UMD actuelles sera bienvenue. Mais pour sécuriser les soins, il faut des moyens humains : des psychiatres et des infirmiers bien formés ; ces moyens ont diminué de 10 % depuis dix ans.

Et pour que la santé mentale se réforme, encore faudrait-il ne pas avoir perverti le mot « réforme », en l’utilisant à tort et à travers ou, de plus en plus souvent, pour habiller un projet politique de contre-réforme. En psychiatrie, la tendance est lourde : la loi n° 2008‑174 du 25 février 2008 dispose, pour la première fois dans notre droit, que des personnes pourront être enfermées, non pour sanctionner un crime ou délit, mais pour… anticiper des actes qu’elles n’ont pas commis.

Or donc, une autre loi encore ? Préjugeant que seule la répression pénale peut garantir la sécurité ? Pourtant les statistiques montrent que les infractions sont plus rares chez les malades mentaux que dans la population générale. En 2003, sur 47 655 personnes mises en examen pour crimes ou délit… 285 furent déclarées irresponsables en raison de leur trouble mental, soit 0,6 % [i], et l’immense majorité des 1 500 000 personnes qui chaque année ont recours à la psychiatrie ne présentent aucun danger, vivent parmi nous, sont avant tout nos semblables qui souffrent d’une pathologie pénible.

Certains disent que Nicolas Sarkozy est intervenu comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Maladresse ? Voire. Quant on lit son discours d’Antony du 2 décembre, donc quinze jours seulement après le drame de Saint Egrève et le communiqué péremptoire qui l’a suivi, on est frappé du grand écart : propos de miel et hommage appuyé aux professionnels de la psychiatrie. Incohérence ? Que non pas.

Car ce qui compte… c’est ce qui restera in fine dans la part « ciblée » de l’opinion publique, cette fraction de cerveaux disponibles qu’il faut capter. C’est d’avoir instillé l’idée que ces professionnels, « experts », « spécialistes », multiplient erreurs, bévues, bavures ; qu’il faut les asservir étroitement au « bon sens » plébéien qui a toujours raison ; et donc que puisse les cravacher ad nutum le Zorro politique qui nous est advenu.

Lors la « réforme » sera celle d’une défiance organisée et d’une docilité des « décideurs » encore renforcée. Belle nouvelle gouvernance de deuxième génération ! Aujourd’hui on peut se demander si ces autorités politiques-là ont la sincérité requise pour ouvrir ce chantier-là. Réformer, oui, mais pas comme çà !

 


[i] En revanche les malades mentaux sont 11 fois plus souvent victimes de crimes que la population générale.