Contestation du CNE, refus massif du CPE, voici notre pays une fois encore en cortèges à propos du contrat de travail. Cette fois, l’objet du litige implique les jeunes à la recherche du premier emploi, puis leurs parents, puis les moins jeunes confrontés au chômage ou inquiets de la précarité qui pourrait s’abattre sur leur situation actuelle. Ceci dans la sphère du droit privé et de l’activité économique marchande. Rien donc, direz-vous, qui concerne ou interpelle, de près ou de loin, les établissements publics de santé ou médico-sociaux.
Ah oui ? En sommes-nous bien sûrs ? Nos institutions seraient elles totalement animées par des fonctionnaires et des médecins statutaires ? Examinons ici le cas des contractuels non médicaux.
L’article 9 de la loi du 9 janvier 1986 autorise le recours au CDD ou au CDI afin de pourvoir à des emplois permanents, soit pour lesquels il n’existe pas de corps de fonctionnaires ad hoc ou concernant des fonctions nouvelles ou des techniques hautement spécialisées, soit à temps non complet d’une durée inférieure au mi-temps. Quant à l’article 9‑1 il permet de recruter des agents en CDD pour assurer le remplacement momentané de fonctionnaires indisponibles ou à temps partiel, faire face à la vacance d’emplois non encore pourvus par la procédure de recrutement statutaire, ou exercer des fonctions occasionnelles. Tout autre recours au contrat est interdit, l’article 3 de la loi n° 83‑634 du 13 juillet 1983 disposant que les emplois permanents doivent être occupés par des fonctionnaires.
En réalité, les contractuels représentent 8,2 % des rémunérations (contre 5,5 % en 1991)1. Sachant les difficultés que nos établissements rencontrent pour préserver un volant de vrai remplacement pour congés, on se doute qu’une part majeure de ces contractuels font fonction d’agents permanents. A qui la faute ?
Allons d’abord au plus facile : dénigrons les tutelles et l’Etat. Il est vrai que certaines tutelles persistent à dire mezza voce que l’occupation des postes par des fonctionnaires « c’est le principe », ce qui vaut autorisation subliminale de conserver une pratique… différente. Il est vrai que l’Etat interprète souvent a minima, quoique sans grande cohérence ni arguments convaincants, les dispositions applicables aux contractuels. Ainsi, pas de prime de précarité de 10 % en fin de CDD « parce que l’article L. 122‑3‑4 du code du travail ne s’applique pas » (jusqu’à une prochaine jurisprudence, d’autant qu’elle est reconnue désormais aux praticiens attachés…).
Pas de prime de service non plus « parce que c’est contraire à la circulaire du 24 mai 1967 » comme le ressasse chaque décennie une autre circulaire de basse volée juridique. Même le valeureux Bernard Kouchner s’y est laissé forcer la main – et la signature – dans les derniers jours de son dernier ministère… Jusqu’à ce que deux récents arrêts du Tribunal administratif de Dijon et de la CAA de Bordeaux viennent enfin rappeler aux directeurs, même débutants, que la hiérarchie des normes juridiques, cela existe, et qu’ils n’ont pas à se retrancher derrière des circulaires inventant des restrictions ne figurant pas dans le droit positif.
Autre turpitude, plus choquante peut-être : si l’un de nos agents a patienté de longues années comme contractuel, nous ne manquons pas de le consoler en lui indiquant qu’à sa titularisation tout sera réparé : son ancienneté sera prise en compte, son avancement reconstitué, il pourra « racheter » les annuités pour la retraite CNRACL. Tiens donc ! Ce serait trop simple ! Voici le cas réel d’un agent soignant titulaire, ayant validé 7 ans de CDD de début de carrière et qui voulait partir en retraite à 55 ans, puisqu’ayant plus de 15 années de service actif. Que croyez-vous qu’il arriva ? La CNRACL lui répondit que les services de contractuels effectués dans des fonctions actives « sont toujours réputés » relever de la catégorie sédentaire. Qu’il ne totalisait donc pas 15 ans de service actif homologué… Deux poids, deux mesures ! L’agent a payé rétroactivement sa cotisation tout comme s’il avait été titulaire, mais ses droits ne seront jamais exactement les mêmes ! Pur exemple d’iniquité et de vicieuse discrimination qui creuse, vieille taupe aveugle, une sape politique et sociale que l’on vient déplorer ensuite…
Mais nous-mêmes, ne contribuons-nous pas aussi à un usage inapproprié du contrat de travail ? Combien de fois n’ai-je entendu des directeurs expliquer prudhommesquement qu’ils commencent toujours par recruter les agents en CDD « pour vérifier leur valeur » avant de les nommer stagiaires. C’est tout bonnement – chaque directeur ayant fait une première année de Droit le sait ‑ une violation de la loi, un détournement de procédure. Et de surcroit une précaution illusoire : l’agent retors saura se tenir le temps qu’il faudra, nonobstant cette redondante précaution du genre ceinture + bretelles. Pour évaluer les aptitudes d’un agent en début de carrière, il y a l’année de stage : prétexter qu’à son issue il est « impossible » de non-titulariser, sauf à « aller au clash avec les syndicats » c’est concéder à la lâcheté ambiante et participer à une fuite en avant qu’il s’agit au contraire d’enrayer. Ajoutons, pour les tenants de l’EPIC, que cette utilisation mesquine du contrat n’est pas la stratégie la plus intelligente pour donner envie à nos personnels d’échanger un cadre statutaire « archaïque » contre une situation contractuelle « moderne »…
1 Source : Ministère, Synthèse annuelle des données sociales hospitalières, année 2003. Où l’on apprend également que les « emplois aidés » constituent 3 % de l’effectif et qu’au contraire les emplois attribués à des personnes handicapées n’en forment que 3,3 % au lieu du 6 % réglementaire…