Edito DH n° 104 janvier 2006 : Recommencements

D’une génération l’autre, parfois même à l’intérieur de la courte période que constitue une vie socialement active, on observe de nombreux « retours aux sources », que l’on nomme ainsi pour ne pas admettre trop crûment qu’il s’agit de reconsidérer ou réévaluer quelque notion qu’hier ou avant-hier on avait tenue pour périmée voire jetée aux orties.

Ce mouvement pendulaire caractérise toutes les sociétés ; il est donc sans doute la forme naturelle du cheminement des idées, dans une géométrie non euclidienne où la plus courte distance d’un état de la pensée à un autre n’est jamais la ligne droite mais emprunte ce que d’aucuns philosophes nomment une spirale dialectique. Mais quittons vite ces considérations spéculatives pour réfléchir aux implications pratiques de ces louvoiements.

Notons d’abord qu’aucun champ social n’en est indemne. Ainsi l’Education, après avoir encensé la méthode de lecture globale, la rejette et même deux fois plutôt qu’une. La Finance, ayant chanté tout l’été les vertus de la fourmi (les petits ruisseaux de l’épargne faisaient les grandes rivières de l’investissement capitaliste) voudrait maintenant que le citoyen devienne cigale emprunteuse et vive à crédit (pour doper la consommation…). La Justice s’accommode, surtout en année électorale, des concessions nécessaires à l’efficacité de la répression pour, quelques erreurs plus tard, entrer en repentance – et nous avec – de ses outrances inquisitoriales. La Protection de l’Enfance va peut-être réinventer demain les institutions d’éducation surveillée qu’elle a (trop) généreusement supprimées il y a 20 ans…

Mais la singularité hospitalière de ces ondulations perpétuelles, c’est qu’elles semblent être chez nous non la résultante aléatoire d’une agitation brownienne mais une chorégraphie pilotée et même administrée.

Les arbitrages successifs pour le prix de journée, puis la dotation globale, aujourd’hui la T2A, ne doivent en dernier ressort pas grand-chose aux opinions ou engouements de la communauté hospitalière. Oubliée la pureté du dessein initial : in fine le dispositif très concrètement instauré dans la vie très réelle  se résume à chaque fois à un appareil théorique, pour ne pas dire doctrinal, légitimant et facilitant une stratégie utilitariste. Le prix de journée devait être « analytique » ; la dotation globale allait être « ascendante » ; la T2A était annoncée « réactive » : on sait ce qu’il en advint…

Les plus anciens conservent la mémoire d’une excellente circulaire du 9 octobre 1979 qui traçait des axes remarquablement clairs et innovants pour une politique des soins de suite et de rééducation… et fut immédiatement remisée plutôt qu’appliquée !

On connut dans quelques départements, dès le début des années 1980, des expérimentations de coordination gérontologique qui furent superbement ignorées par les autorités tant de l’Etat que départementales, alors qu’elles anticipaient les CLIC.

Quant aux hôpitaux ruraux puis locaux, quelle (més)aventure ! Nous vîmes surgir dans ces établissements des petits commandos de médecins « contrôleurs » ou « inspecteurs », imbus de certitudes, doctrinaires, intransigeants, reprochant à leurs lits de médecine de ne pas avoir une DMS aussi courte… que celle des lits MCO en CH ou CHU (propos purement ineptes mais qui à l’époque ne stupéfièrent pas grand-monde…) et donc les supprimèrent à tour de bras. Lits qu’il faut maintenant recréer après avoir tant et plus ergoté sur leur inévitable résurrection. Faut-il citer d’autres exemples ? Décrire les grandes heures carillonnées à force circulaire… puis la tacite défaveur de la sectorisation psychiatrique ?

Au risque pourtant de donner argument à ceux qui nous taxent d’un incurable optimisme, nous persistons à croire que ces oscillations ne signent pas un désespérant surplace, mais s’inscrivent dans un mouvement qui, finalement, va de l’avant. Elles nous incitent en tout cas à accorder un peu plus de considération aux « vieilleries » d’hier, un peu plus de circonspection envers les toutes dernières « réformes audacieuses » et un peu plus d’indulgence pour les « toquades » des néophytes. Et garder à l’esprit une belle réflexion de Victor Hugo : « La France sera sauvée quand les vieux regarderont en avant et quand les jeunes regarderont en arrière. »