Livre : Avertissement aux malades, aux médecins et aux élus, ombres et lumières sur la médecine – 2002

Postures ou impostures ?

On s’y attendait de la part de Philippe Even ; on est plus surpris venant de Bernard Debré : leur livre est d’abord une charge d’une consternante agressivité contre l’administration centrale, les tutelles, les directeurs d’hôpital et la FHF, instrument des susdits et repaire de francs-maçons… Quant aux élus, ce sont d’indécrottables démagogues..

Les argumentaires se contredisent souvent, d’une page à une autre : nous n’avons pu déterminer si l’incohérence de tel ou tel chapitre réside dans l’esprit de son auteur unique, ou se trouve être la rançon d’un discours à deux voix non maîtrisé. Des exemples ? Il y a excès de lits d’aigus… mais ceux qui l’ont chiffré sont d’aimables farceurs ! Les hôpitaux sont un gouffre financier… mais, depuis quinze ans, leurs dépenses augmentent moins vite que les autres postes de la santé, n’en représentant plus que 38 % contre 52 % en 1990. La formation médicale initiale est en ruines, la FMC est en panne… mais les médecins hospitaliers sont parmi les meilleurs du monde. Ils dénombrent d’abord 3 000, puis 1 500, enfin 800 « hôpitaux d’aigus »… en y comptant les hôpitaux locaux. Légère méconnaissance des réalités concrètes ! Et que d’erreurs : par exemple les directeurs d’hôpitaux seraient notés… par les DARH.

Nos duettistes ne peuvent bien sûr se dispenser de délivrer avec solennité leur ordonnance. Prescription évidemment de la dernière chance : « retenez mon idée ou ça va faire un malheur ». Remèdes dignes non de la Faculté mais de Diafoirus. Supprimer les petits hôpitaux, si coûteux n’est-ce pas, pour renflouer les plus gros…

Et lorsque les auteurs s’aventurent à manier des démonstrations financières, on frôle le comique. Bien entendu, supprimer des lits vides supprimerait ipso facto la dépense qu’ils induisent.

Médicaliser les directions à la hussarde ? Enfantin car un médecin peut se transformer aisément en directeur d’hôpital. Là, le mépris n’est plus même voilé : « il est infiniment plus facile pour un médecin de comprendre les quelques règles administratives que, pour un directeur, d’accéder aux complexités de la médecine ou de la biologie ». Si nous étions, comme le pensent Philippe & Bernard, d’indécrottables corporatistes engoncés dans nos certitudes, notre commentaire s’arrêterait ici. Mais nous ne le sommes pas ; en tout cas pas à DH Magazine. Alors voyons plus loin.

Le parti pris des auteurs est de se rendre désagréable à ceux qui ne sont pas de leur avis. Donc, cher lecteur, ne tombez pas dans le panneau, faites un essai : relisez le quelques semaines après. Le venin sera éventé, vous pourrez porter attention au fond. Relativiser ce torrent d’aigreur pour y trouver quelque bouillonnement positif. Car Bernard & Philippe expriment à leur façon la souffrance d’une profession, la désillusion d’hommes et femmes voués au service public, l’amertume de responsables face à une situation difficile, peut-être même d’autant plus irrités qu’ils perçoivent qu’il tenait à peu de chose —et peut être à eux aussi— qu’elle évolue différemment. Il y a quelque chose à sauver dans leur factum.

Leurs propositions ne sont pas toutes originales, mais plusieurs valent d’être considérées. Bousculer la technostructure qui depuis trente ans domine la non-politique de santé ; réduire le nombre excessif des comités, conseils et commissions ; dégraisser les armées mexicaines administratives, médicaliser la politique de santé et la gestion hospitalière, restaurer l’autonomie des EPS, aider l’Afrique, etc. Pour peu que les auteurs daignent participer à un travail collectif et relativisent leurs certitudes. Mais, sur ce point justement, nous avons ressenti du Leboeuf et du Gamelin dans notre duo de généralissimes de santé car plusieurs de leurs propositions sont lestées de plans déjà tout ficelés, chiffrés, détaillés, auxquels ne manque aucun bouton de guêtres. Or cela, cela, messieurs, est assurément l’indice d’une logique tatillonne, bureaucratique et totalitaire… Celle là même que vous dénoncez avec tant de passion !

par le Pr Philippe Even et le Pr Bernard Debré