L’une après l’autre —sauf rares et louables exceptions— les compagnies d’assurance refusent de continuer à couvrir les risques professionnels des personnes physiques et morales de santé. Roulement de grosse caisse ! A la télévision Jean-François Mattéi rappelle sèchement les assureurs à leur métier sinon à leurs devoirs tandis que son prédécesseur Bernard Kouchner leur administre [1] une volée de bois vert. Voici deux petites musiques ministérielles mélodieusement accordées.
Estimant qu’il est temps de jeter l’hypocrisie aux orties, Jacques Barrot, ancienne éminence et non des moindres, affirme que la sécurité sociale doit se focaliser sur les risques lourds et confier la couverture des petits risques aux assurances complémentaires privées. Coup de cymbale ! Jean-François Mattéi réplique que souvent, petite maladie négligée deviendra grande. Cette fois sa musique est reprise par l’orchestre symphonique tout entier, les chœurs, le parterre et les balcons, côté cour et côté jardin. Succès… assuré. La salle est debout. A quand les rappels et les bis ?
Mais qu’il apprécie ou non la nouvelle distribution et le tempo adopté, le mélomane saurait fredonner la suite du concerto, tant il l’a déjà entendu…Il y a quelques mois, DH Magazine montrait [2] combien, en deux décennies d’une impressionnante continuité, les clivages des politiques sanitaires ont peu correspondu aux fractures partisanes, pas plus que les failles telluriques profondes ne coïncident avec le relief de surface. Bernard Kouchner, autant que la solidarité gouvernementale le lui permettait, faisait entendre sa petite musique : primauté de la santé publique sur la démarche comptable. Déremboursant une kyrielle de « médicaments » sans utilité avérée, Jean-François Mattéi ouvre enfin la voie à une maîtrise (relative) des dépenses fondée sur la pertinence médicale. Bernard l’a rêvé, Jean-François l’a fait…
Mais on se montrerait naïf de ne retenir que ces belles consonances en oubliant trop vite les fausses notes. Peut-être bien qu’elles ne résultent ni d’erreurs de doigté ni de mauvais accord d’instruments, mais sont transcrites dans la partition, discrètement ajoutées par les sponsors du concert. Car ce n’est pas la première fois que des assureurs nous invitent à changer de répertoire, à délaisser enfin le style « sécu » baroque pour passer à la musique atonale.
Les chantres d’un solfège déréglementé nous serinent : « Mais, c’est ce qui se fait aux USA ! ». Primo, leur suivisme grégaire n’est plus applaudi nulle part, même au Palais Brongniart. Secundo, ils tiennent pour simple dièse ou bémol les choix de notre peuple, obstinément confirmés par les enquêtes d’opinion depuis cinquante ans et devenus « préférence stable » au sens même de… l’école de Chicago. Tertio, ils escamotent la tentative du président Clinton, il y a peu, de réformer ce système « idéal » pour le rapprocher… de notre assurance maladie [3]. In fine ils oublient que la santé n’est pas une marchandise et que c’est l’honneur de la loi « Kouchner » du 4 mars 2002 —quelles que soient ses imperfections— d’avoir fait prévaloir les droits de la personne malade sur le droit commun de la consommation.
Et puis, il faudra bien qu’elles nous expliquent, ces multinationales de l’assurance, pourquoi elles s’empressent à vouloir protéger le malade… dans l’instant même où elles abandonnent le soignant ! Le risque de santé est-il assurable, oui ou non ? A moins, à moins que dans ce nouveau livret soient déjà distribués rôles, tessitures et registres… et surtout les bonus et malus. Pour, mélodieusement, étatiser les déficits et privatiser les bénéfices. Solidarité ? Ma non troppo…