Nombreux sont-ils, directeurs et cadres administratifs, à ronchonner ainsi contre l’indigence, pour ne pas dire la vacuité, de nombreuses circulaires ministérielles qui pleuvent sur nos établissements (et Dieu sait que les précipitations, ces derniers mois, ont redoutablement augmenté [1]).
Force est de leur donner raison. Ainsi, en matière de personnel (pardon : ressources humaines), on ne compte plus les circulaires qui, au louable motif de nous « expliquer » la subtilité de tel décret statutaire, infligent une paraphrase insipide, délayée, mot à mot démarquée de ce décret que nous avions déjà su lire tout seul, dans le texte.
Les plus anciens d’entre nous ont reçu un jour une circulaire où un contremaître-ministre leur enjoignait de repeindre fissa couloirs et chambres [2]. Serviteur, mon Prince, mais en quelle couleur ? [3].
Et cette circulaire par laquelle un ministre intrépide leur livrait son « étude personnelle » qui s’opposait – rien que ça – à l’avis publié du Conseil d’Etat ! Et les enfants de chœur (pardon : les directeurs) de murmurer tout tristes…
Autrement redoutable est la circulaire « instruction », qui, sous prétexte d’accompagner notre entendement dans les domaines « novateurs » (entendez : le tout dernier chic des hardiesses autorisées) arpente soigneusement le terrain, borne le champ de nos audaces. Ainsi les bambins ne vont aux bains de mer que groupés et dans un périmètre balisé de pimpantes bouées. Malheureux ! Au-delà de cette limite, le ticket de vos « expérimentations » ne sera plus valable, ni repris, ni échangé. [4]
Et il serait cruel de pointer ici nommément les circulaires qui… se contredisent, sinon dans leurs prescriptions explicites, en tout cas dans leur logique démonstrative !
Quant au style ! Nos professeurs de droit déplorent à raison le fossé séparant la langue du vieux code civil de la logorrhée des lois postmodernes [5]. D’avec la circulaire, c’est un abîme…
Cependant, cependant, cher(e)s collègues, il en est certains, de ces factums, qu’hélas… nous n’avons pas volés. Et penauds nous admettons qu’il fallait nous les infliger, en carton jaune [6].
Ainsi, la mémorable volée de bois vert de la circulaire matricule DH/FH1/DAS/TS3 n° 96/257 du 16 avril 1996 qui dénonce, sur un ton vigoureusement inhabituel, nos peu transparentes manœuvres et médiocres habiletés à refuser ou différer les réintégrations après disponibilité ou détachement, les priorités de recrutement… au nom de nos directoriales prérogatives [7].
Mais sur le fond : mauvaises, bonnes ou inutiles circulaires, quand sera-t-elle posée, la question : faut-il encore, en Etat de droit, de ces créatures réglementairement improbables ?
La fiction en effet apparaît dès l’énoncé des destinataires : la circulaire s’adresse « pour exécution » aux DARH, DRASS, DDASS, préfet, faute de pouvoir apostropher le directeur qui n’est pas subordonné au ministre. Burlesque, lorsqu’elle traite (c’est souvent le cas) de matières sur lesquelles ces autorités d’Etat n’ont pas même pouvoir d’approbation et que leur contrôle de légalité est indéterminé…
Un deuxième principe d’Archimède finira donc par pénétrer nos lentes mais opiniâtres méninges : la maturité, la vigueur, l’efficacité de notre Droit sont inversement proportionnelles au volume de circulaires qu’elles déplacent.
Si les vraies réformes sont celles qui bousculent ce qui parait, à tous et de toute évidence, intangible et immuable, alors osons la fin de la circulaire !
Oui mais… Et la régulation des politiques publiques ? Et l’harmonisation des comportements des décideurs ?
Ne sont-elles pas déjà – amplement – garanties par les lois et règlements existants ? Sinon renforçons ceux-ci, ou plutôt rendons les plus opérationnels… et veillons juridiquement et juridictionnellement à leur application. Et instituons, enfin, le contrôle de légalité sur les actes des exécutifs hospitaliers. Car ce n’est pas un hasard si ce dernier est aussi embryonnaire que les circulaires sont profuses…
[1] qui l’eut crue ?
[2] on murmurait qu’il en tenait une couche…
[3] mais avait-il le sens de la nuance ?
[4] autres temps, autres mœurs : en 1970 le Conseil d’Etat critiquait, en matière d’urbanisme, la prolifération de circulaires en lieu et place de lois et décrets démocratiquement adoptés ou contrôlés ; en 2001, dans le domaine sanitaire, nous cumulons les unes … et les autres.
[5] un vice-président du Conseil d’Etat aurait eu là-dessus, récemment, des commentaires d’autant plus mortifiants pour nos éminences qu’ils étaient indéniables…
[6] le carton rouge est d’emploi homéopathique dans notre profession, les dérapages étant paraît-il davantage provoqués par le terrain glissant que par des tacles délibérés…
[7] le mot est disgracieux, mais il convient ici