Edito DH n° 100 avril 2005 : Pour un oui, pour un non

L’issue de la campagne référendaire sur la Constitution pour l’Europe est encore incertaine. Qu’elle se conclue par la victoire du Oui ou aboutisse à celle du Non, souhaitons que son déroulement incite enfin nos dirigeants à s’interroger, davantage qu’ils ne l’ont fait après un certain 21 avril….

Pourquoi ce divorce entre ce qu’on appelait naguère les élites et le pays réel ? Pourquoi le courant ne passe-t-il plus, ou si mal ? Pourquoi la France est-elle plus que jamais partagée, en sus voire en lieu des clivages politiques traditionnels, entre celle « d’en haut » et celle « d’en bas », pour reprendre l’expression calamiteuse d’un Premier ministre prolifique de ce genre de formules jusqu’à ne plus savoir comment s’en dépêtrer. Pourquoi ce déficit de gouvernance, pour utiliser ce mot que nous, hospitaliers, finissons par employer au quotidien, bien que son contenu réglementaire se fasse attendre…

Des exemples de ce mauvais climat dans le domaine de la santé ? Ils abondent.

Exemple au sommet : tout Européen convaincu aura été l’autre soir décontenancé d’entendre le Président Chirac, pour mieux ramener au Oui l’électeur hésitant, le « rassurer » en affirmant que la santé demeurera de la seule compétence nationale, qu’elle « sera bien ou mal gérée, (…) mais elle sera gérée par la France sous la responsabilité des gouvernements français » alors que tant responsables de santé s’efforcent de monter des projets européens, seule dimension qui garantisse leur efficience ?

Exemple badin : notre ministre se démène et croit sincèrement, de « l’en haut » où il siège, que les annonces qu’il égrène à un rythme soigneusement dosé, que ses apparitions médiatiques dès qu’un problème se pose ou qu’un incident survient, que ses inaugurations tous azimuts sur chaque segment de l’offre de soins, constituent l’alpha et l’oméga de la politique. Las ! il ignore visiblement que ses propos sont accueillis avec scepticisme par « l’en bas » que nous représentons. Que nous avons fini par apprendre à débusquer, dans les « crédits nouveaux » l’assemblage de crédits anciens, dans les « mesures nouvelles » le recyclage de dispositifs avérés, dans les « plans » pour demain la formalisation de pratiques existantes… Dans chaque colloque, conférence, congrès, nous entendons cette rumeur sitôt les applaudissements retombés et constatons cette lassitude face à tant d’habiletés communicantes, alors qu’en ce moment l’habileté suprême serait de n’en avoir aucune.

Exemple déplaisant : le président du groupe UDF à l’Assemblée, Hervé MORIN, vient « d’oser » remettre en cause la représentativité du syndicalisme médical. Aussitôt la CSMF, dans un communiqué véhément, lui rappelle ce qui arriva à Alain JUPPE en 1997 pour avoir mécontenté le corps médical. Si les mots ont un sens, voici un bien vilain chantage et une méprisable intimidation !

Mais dans cette cartographie sociétale déchirée, nous, décideurs hospitaliers, sommes en situation singulière. Les uns les autres, médecins, directeurs, cadres, nous trouvons presque toujours, de facto, en situation ambivalente. « En haut » pour nos subordonnés , mais « en bas » face aux autorités et tutelles. Tantôt « en haut » tantôt « en bas » selon les affaires que nous traitons et les décisions que nous prenons ou exécutons. Nous subissons donc, à la fois, le fonctionnement autistique de « l’en haut » bureaucratique et technocratique, sans nous rendre suffisamment compte que nous le reproduisons, au moins en partie, dans notre conduite des actions et des hommes, cette gestion et ce management que nos collaborateurs d’« en bas » observent avec défiance ou incrédulité.

Jamais sans doute directeurs, médecins et cadres, n’auront été mieux formés, mieux armés de techniques, de référentiels, d’instruments d’analyse, d’outils conceptuels… Mais ce sont le caractère, le courage, la détermination qui manquent trop souvent, ces attributs pourtant essentiels des meneurs d’hommes. Le sens des responsabilités transcende toutes les compétences professionnelles : que cette aptitude manque et plus rien ne vaut.

Heureusement l’avenir reste ouvert ; les nuages de ce printemps pluvieux passeront ; la lisibilité des politiques complexe est néanmoins possible, quand on la veut. Par exemple je me remémore, parmi de récentes occasions d’espérer, la belle concision du projet d’établissement du CHU d’Amiens. Ou hier, un billet de Lesimple m’est parvenu : vous le lirez en fin de ce numéro. Un papier de Jacques, c’est pour moi une semaine de soleil assurée : je l’emmène partout, le lis et le relis sans cesse, me réconfortant de son incomparable légèreté d’âme et de sa tranquille insolence…