2014 10 09 : Bruce Machart – Le sillage de l’oubli

Le sillage de l’oubli est le premier roman de Bruce Machart. Quel coup de maître ! Je ne me souviens pas avoir lu de roman aussi puissant depuis plusieurs années.

Bruce Machart - Le sillage de l'oubliDès les premières lignes, nous voici transportés dans un pays et une époque d’une dureté qu’on peine à imaginer ; c’est précisément le mérite de ce roman de nous la faire ressentir de bout en bout, sans abus de style, sans pathos et surtout sans anachronismes psychologiques : ses personnages parlent, calculent, raisonnent, s’accordent, s’allient, se disputent et se battent avec les mentalités de l’époque, telles du moins qu’elles nous sont décrites par les historiens et les ethnologues.

L’intrigue, les intrigues enchevêtrées plutôt, s’espacent entre 1895 et 1924. Trente années, deux générations d’immigrés tchèques installant leurs fermes au Texas, élevant leurs chevaux ; leurs relations complexes avec les autres immigrés et avec les précédents maîtres des lieux et des terres, les hispano-mexicains.

On ne résume pas cette histoire violente, cruelle, ayant pour épicentre la tyrannie d’un père veuf sur ses fils qui le craignent et le haïssent ; leur seule passion commune, tout aussi rude, étant celle des chevaux. Même l’amour, conjugal ou extra-conjugal, en ce temps et en ces lieux était violent, dur, sans romantisme.

Il n’y a dans le récit ni personnages historiques ni épopée grandiose : simplement une intrigue ordinaire et banale ; mais cette banalité paradoxalement en constitue la puissance, tout comme sa profonde véracité ; une constante subtilité nuance la rudesse des personnages et la dureté des situations.

Tous les chapitres sont de la même intensité, si bien qu’on ne peut lire le roman que d’une traite. S’il fallait toutefois en signaler deux plus forts encore que les autres, je proposerais la course de cheval entre Karel et « la fille » (puisque son prénom n’est pas même prononcé) et la bagarre qui s’en suit (p. 131). Et, dans un registre apparemment différent quoique tout aussi âpre et violent, la partie de sexe entre Karel et Graciela ‑ car cette fois la femme est nommée ‑ d’autant plus remarquable que le sexe est rarement bien évoqué en littérature (p. 277).

Bruce Machart -5321bc06ced29L’auteur est lui-même né au Texas où son grand-père puis son père furent agriculteurs, dans le comté où se déroule le roman. On comprend mieux alors pourquoi ce récit est si fort, semble si juste.

9 octobre 2014