Voilà un film que je décidai d’aller voir mû par une double curiosité :
1° les films tirés d’une œuvre littéraire sont souvent décevants, car difficiles à adapter, alors cela tourne à la gageure s’agissant d’un texte aussi touffu que celui de Cervantès ;
2° le rôle principal était tenu par Jean Rochefort dans une tentative avortée en 2000 et je me demandais comment son remplaçant se hisserait au même niveau.
Sans ambages j’estime que le réalisateur Terry Gilliam s’en est plutôt bien sorti.
D’abord avec une astuce : au lieu de mettre en images linéairement l’épopée de Don Quichotte et de Sancho Panza, il nous raconte, avec de multiples allers-retours, l’histoire d’un réalisateur revenant sur les lieux d’un tournage calamiteux (le sien, Terry Gilliam ?) dix ans auparavant, d’un premier film sur Don Quichotte par un réalisateur mégalomaniaque, imbuvable et maladroit (lui-même, Terry Gilliam ?) affublé d’un acteur Don Quichotte qui au départ joue lamentablement, puis surjoue et dix années plus tard se prend réellement pour le héros !
Ensuite parce que les acteurs sont épatants, Adam Driver dans le double rôle de Toby le réalisateur et de Sancho Panza ; et surtout l’exceptionnel Jonathan Pryce incarnant un Don Quichotte mégalo tantôt cabot tantôt sincère qui nous fait oublier ce qu’aurait pu donner Jean Rochefort.
Et puis parce que Terry Gilliam respecte profondément l’œuvre de Cervantès, non littéralement certes, mais son esprit : une épopée échevelée et totalement invraisemblable, des situations loufoques, des paysages espagnols et portugais incroyables, une débauche de lumière, de couleurs, d’excès… tout cela pour nous amener à l’essentiel : la noblesse d’âme d’un homme à qui rien ne réussit et qui va d’échecs burlesques en mésaventures ridicules dans un monde qui n’est plus le sien.
J’écris ci-dessus « Terry Gilliam s’en est plutôt bien sorti » ; donc ma formulation est un peu restrictive.
Certains ont critiqué la longueur du film (2 h 15) et ses redites. Sauf que l’œuvre d’origine fait quand même, excusez du peu, plus de mille pages. Les situations répétitives ? Mais l’épopée de Cervantès en surabonde.
Non, ce qui m’a laissé un peu sur la réserve, c’est la fin, la dernière demi-heure. La fiesta grandiloquente chez le richissime boss vaguement mafieux (Stellan Skarsgård) et sa Jacqui moins vaguement prostituée (Olga Kurylenko) ne m’a pas paru en harmonie avec le séjour au château où un duc et sa duchesse ridiculisent Don Quichotte et Sancho. Mais peut-être certaines allusions m’ont-elles échappé.
25 mai 2018