Exercice de lucidité
Nous vivons en France une crise de la médecine plus ambivalente que celle de l’école, mais tout aussi profonde. Aux XIXe et XXe siècles, un transfert d’espérance s’est opéré de la religion vers la médecine, devenue sanctuaire de la Raison ; puis la médecine a progressivement perdu son statut sacré. La distance entre médecin et patient s’est réduite. On n’hésite plus à demander des comptes au « docteur » qui n’est plus détenteur intouchable d’une science sacrée. On souhaite « mourir dans la dignité » : rester jusqu’au bout un sujet autonome et responsable. On demande à l’hôpital et à ses personnels une perfection impossible : soigner, guérir, consoler, apaiser, à tout moment et à moindre coût.
Aucune réforme de l’hôpital, aucune politique médicale ne peut réussir sans tenir compte des bouleversements des valeurs, croyances et modes de vie qui secouent nos sociétés depuis la deuxième moitié du XXe siècle. Plaidoyer pour une voie républicaine originale qui se dégagerait d’un absolutisme scientiste séculaire, cet ouvrage remarquable tente de décrypter l’histoire et de penser une médecine au service de l’homme, nouvelle médecine à la fois plus scientifique et plus humaine, moins mystérieuse et arrogante, moins froide aussi, et pourtant tout aussi, sinon plus efficace.
C’est le livre de deux universitaires étrangers au monde médical : alors le professionnel de santé un peu frileux va peut-être l’aborder avec un préjugé dédaigneux ou défavorable… et il aurait tort, car les auteurs mettent le doigt avec subtilité et clarté sur un certain nombre de points sensibles de la médecine actuelle.
Nous n’avons pas ici la place de développer notre appréciation autant que nous le souhaiterions ; mais quelques intitulés de chapitres vous donneront un aperçu significatif :
● La sacralisation de la médecine, face cachée de la laïcisation en France
● La médecine, reflet de la société et de ses contradictions
● La médecine, l’hôpital : théâtre d’illusions
● Pour une médecine désillusionnée mais néanmoins républicaine.
Et nous citerons un paragraphe de la conclusion, cruellement lucide : « Il est vital de transformer, même radicalement, notre système, mais nullement de le dé-fonder comme s’il n’était plus fondé en lui-même. La forme, ce sont les techniques juridiques, informatiques, gestionnaires, financières ; le fond, ce sont les finalités morales, sociales, civilisationnelles de l’hôpital. On nous dit que notre service public est inadapté – dans sa forme comment le nier ! – Mais ne tente-t-on pas par-là de le délégitimer et de l’abattre dans le fond, à force de faire accroire, sous prétexte d’inadaptation formelle, à la désuétude de ses principes fondamentaux ? »
Jean Baubérot & Raphaël Liogier
décembre 2010 – 194 pages – 17 €
Editions Entrelacs
22 rue Huyghens
75014 PARIS