Les plus anciens d’entre nous se souviennent du Dernier Tango à Paris, réalisé en 1972 par Bernardo Bertolucci, avec pour acteurs principaux Marlon Brando et Maria Schneider. Je n’étais pas allé le voir ; mais des amis qui l’avaient vu m’en avaient fait une relation tantôt admirative, tantôt scandalisée.
Bertolucci étant un réalisateur prestigieux, et d’autres acteurs de renom participant à la distribution, je ne savais qu’en penser.
D’autant que les arguments laudatifs de certains amis s’attachaient à la crudité du scénario, décrivant avec force détails la relation sexuelle violente et sans aucune affection entre les deux personnages : ils exposaient que c’était l’aboutissement de la libération sexuelle des années 68.
Les autres s’indignaient justement qu’il n’y ait que cela comme argument au film. Scandale absolu : une scène d’une ou deux minutes où Brando renverse Maria sur le plancher, la sodomise brutalement après avoir largement enduit de beurre son rectum.
Je n’éprouvai aucune envie d’aller le voir, car si j’estimais que si l’on était en bonne voie pour libérer le spectacle sexuel à destination des amateurs, frustrés, défavorisés dans ce domaine, il ne fallait cependant pas le mélanger avec le cinéma « sérieux » où des scènes allusives ou suggestives suffisent à émouvoir la rêverie érotique. Et puis je n’aimais pas tellement Marlon Brando.
Le film dont je parle ici se penche, comme son titre l’indique, sur le drame de Maria Schneider, à partir du livre Tu t’appelais Maria Scheiner publié par sa cousine Vanessa Schneider en 2018 (la pauvre Maria était décédée en 2011).
Alors peut-on, cinquante ans plus tard, avoir la certitude que le film de Jessica Palud est totalement conforme à la vérité ? Quelle vérité d’ailleurs ? La scène de sodomie comme toutes les autres scènes érotiques avait été simulée : il n’y eut donc pas d’agression sexuelle. Mais Maria était une adolescente (19 ans) ; Maria s’enchantait d’avoir un premier grand rôle à jouer ; Maria avait mal lu le scénario que d’autres avaient refusé ; la scène de sodomie n’y figurait d’ailleurs pas.
Ce fut donc un viol moral et psychologique, plus dévastateur peut-être qu’un viol physique. Maria, en ces temps où l’hypocrisie morale tenait encore le haut de certains pavés, après avoir été bafouée fut gaussée, méprisée. Elle tournera encore d’autres films et rôles plus valorisants, mais s’adonnera à la drogue et tombera en dépression.
Alors saluons Jessica Palud de lui avoir consacré ce beau film qui nous la restitue dans sa fragilité mais aussi sa dignité. Les deux interprètes de la belle Maria (Anamaria Vartolomei) et du suicidaire Brando (Matt Dillon) sont excellents. Bernardo Bertolucci (Giuseppe Maggio) est méprisable à souhait.
21 juin 2024