Ah Raoul ! Belge de naissance et Français de cœur comme Brel, et l’un des survivants du situationnisme, en 2002 il s’exerça dans ce livre à plaider que l’abolition de la société marchande, qui n’en finit pas de pourrir la planète et notre vie, peut et doit être non-violente et inventer un dépassement historique. Puisse-t-il dire vrai.
Pour ces positions il fut longtemps considéré comme un hurluberlu, voire un fumiste. Pourtant chacune des pages de son ouvrage, je ne peux donc les citer, était prémonitoire.
Auteur prolifique (près de 50 bouquins, presque tous intéressants !) il fut un moment connu d’un plus large public pour l’une de ses thèses, que certains dénoncèrent comme « douteuse » ; et ils initièrent une polémique lorsqu’en 2003 il critiqua la loi Gayssot de 1990 qui qualifiait désormais non plus d’opinion mais de délit la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité et tout acte raciste, antisémite ou xénophobe. Son argumentaire détaillé était tout entier résumé dans son titre : Rien n’est sacré, tout peut se dire. Réflexions sur la liberté d’expression.
Le juriste que je fus accueillit cette polémique avec des sentiments balancés : bien sûr j’abhorre le fascisme, le nazisme, le racisme et tout autant les négationnistes qui nient les crimes totalitaires. Bien sûr je désire que ceux qui promeuvent ces conceptions soient punis et réduits au silence. Mais comment ? Mais par qui ?
Par le débat démocratique évidemment, par le suffrage, l’argumentaire, la culture, par le système éducatif. Les réprimer par la loi me semblait leur permettre de se poser en persécutés, eux les persécuteurs les plus infames ! Nos ancêtres depuis Montaigne et Spinoza, pour ne pas remonter encore plus avant, sont parvenus, sans le secours d’aucune loi punitive, uniquement par l’argumentation, l’indignation spirituelle, la condamnation intellectuelle, à éradiquer nombre d’idées infectes.
J’avoue que, quinze ans plus tard… je n’ai pas fondamentalement changé d’avis, dussé-je scandaliser mes amis de gauche et mes compagnons de réunions ou de manifestations. Car en dépit de la loi Gayssot et de celles qui suivirent, le fascisme recueille combien de voix aux élections ? Cette loi l’a-t-elle affaibli ? Pouvez-vous me le dire ? Simplement la bête immonde change d’oripeaux, adapte son langage ; ou plus exactement le dédouble : celui policé qu’ils tiennent au public et à leurs gogos ; celui toujours aussi abject qu’ils affectionnent entre eux ou avec des interlocuteurs sûrs.
En tout cas et sans relancer cette controverse, une des idées de Raoul Vaneigem ne peut plus prêter à polémique, et de moins en moins : il faut abolir la société marchande, qui n’en finit pas de pourrir la planète et notre vie.
9 avril 2017