C’est avec une curiosité assortie d’avance de plaisir que je me suis rendu au Musée Marmottan-Monet ou était organisée une exposition temporaire Berthe Morisot et l’art du XVIIIe siècle.
Un certain nombre de média l’ont signalée comme « découverte de Berthe Morisot » ; l’heure étant au féminisme un peu tendance donc désordonné, ça fait bien de laisser comprendre que Berthe Morisot fut négligée parce que femme.
Sauf que c’est inexact : il faudrait évoquer sa redécouverte. Car de son vivant elle fut reconnue comme l’une des premières et principales chefs de file du mouvement Impressionniste. De la génération de Manet, Monet, Degas, Renoir, Sisley, Pissarro, elle était considérée comme leur doyenne du fait de sa maturité et de son autorité.
Même si ses débuts furent influencés par Corot, un ami de famille, elle fut d’emblée indépendante d’inspiration car de caractère, ignorant superbement le mépris dont les autorités civiles et académiques gratifiaient les femmes. Belle sœur d’Edouard Manet (elle avait épousé son frère Eugène), elle travailla en constants échanges avec lui mais défendit et conserva une farouche indépendance quant aux interventions parfois inconsidérées du « maître ».
Lors de l’apparition de l’Impressionnisme en 1874, qui suscita l’hostilité d’une large part des journaux influents et de l’académisme, Berthe en tant que femme fut particulièrement attaquée, accusée de se donner en spectacle, d’être révolutionnaire, aliénée et même prostituée ! Ses amis la défendirent vigoureusement.
Peu à peu quelques critiques d’art commencèrent à admettre sa valeur, en regrettant toutefois qu’elle cède au « système impressionniste ». A sa mort en 1895 elle était devenue une peintre reconnue et célèbre. Elle avait produit environ 300 tableaux.
C’est seulement après sa mort qu’elle tomba dans un relatif oubli. L’immense Elie Faure, hélas, hélas, ne l’évoque qu’en trois mots : « la charmante Berthe Morisot » [1]. Seul Paul Valéry écrivit sur elle une notice en 1926 où il se montrait fasciné par son regard et son œuvre : « La singularité de Berthe Morisot fut de vivre sa peinture et de peindre sa vie, comme si ce lui fut une fonction naturelle et nécessaire, liée à son régime vital, que cet échange d’observation contre action, de volonté créatrice contre lumière. » [2]
Voici donc bienvenue la redécouverte en France d’une artiste majeure. Précipitez-vous au Musée Marmottan-Monet, il vous reste deux mois pour admirer l’exposition Berthe Morisot et l’art du XVIIIe siècle.
27 décembre 2023
[1] Elie Faure, Histoire de l’art, l’art moderne II, page 158 de l’édition Folio essais.
[2] Paul Valéry, Œuvres II, page 1302 de l’édition de la Pléiade