Trop souvent échaudé par les prix littéraires français, j’attendrai un peu quelques avis d’amis l’ayant lu pour aborder Pierre Lemaitre, dernier prix Goncourt ; par contre, admiratif du récipiendaire du prix 2011, Alexis Jenni, je me suis précipité sur son deuxième livre.
Voici « Elucidations – 50 anecdotes », donc un recueil de petites tranches de vie.
Oh je vous vois venir, si hélas vous vous êtes principalement sustentés aux denrées industrielles mais indigestes des dernières décennies. Pour les aliments organiques, sont apparus les MacDo, Bistrot Romain et autres mangeoires ; pour les nourritures spirituelles, on vit se créer dans les supermarchés des linéaires de plumitifs bien alignés.
Donc, je crains que vous veniez me dire : « Alors Jenni, c’est du Delerm ? » Ah non ! C’est même tout le contraire ! D’abord, c’est bien écrit. Même si l’auteur abuse un peu du procédé répétitif, à moins qu’il ne considère certaines propositions ou syntagmes comme modules d’une musique pour laquelle il est nécessaire au développement mélodique qu’ils reviennent en boucle (mais cela m’agaça un peu…).
Critique vénielle, car ensuite et surtout ces minuscules récits, contrairement à ceux du père de Vincent (pas celui qui mourut à Auvers-sur-Oise, non, celui qui aurait pu y naître), ne sont pas grotesquement narcissiques ; ils ne sont pas gorgés d’autosatisfaction voire d’auto-contentement ; Jenni ne cultive pas une ridicule tendresse pour de petits souvenirs égotiques ; il n’astique pas les cuivres du nombrilisme avec la haute idée qu’il aurait de sa personne écrivante (cela d’ailleurs m’aurait agacé un peu, voire énormément…).
Si Jenni donc brosse des tableaux de sa prime jeunesse, il ne m’accable pas de mièvre sensiblerie, mais exerce sa sensibilité lucidement incisive et sollicite la mienne (parfois en m’agaçant un peu) : il scrute avec curiosité ses pensées au moment où elles lui vinrent pour la première fois. C’est intelligent et fin.
Exemple : la description d’un tableau (page 40, Tableau de septembre), exercice redoutable, car comment rendre par les mots une émotion visuelle complexe ? Il s’en sort à merveille et suscite en moi comme une jalousie de savoir que jamais, jamais (y songeant, cela m’agace un peu) je ne saurai écrire aussi bien que lui.
Alors faites comme moi : prenez le temps de lire ce livre, au risque de l’agacement que moi-même un peu il me sembla éprouver ; mais ce fut … anecdote.
20 novembre 2013