Spleen et idéal : LXXX – LE GOÛT DU NÉANT

Morne [1] esprit, autrefois amoureux de la lutte,
L’Espoir, dont l’éperon [2] attisait ton ardeur,
Ne veut plus t’enfourcher ! Couche-toi sans pudeur,
Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle bute.

Résigne-toi, mon cœur ; dors ton sommeil de brute.

Esprit vaincu, fourbu ! Pour toi, vieux maraudeur [3],
L’amour n’a plus de goût, non plus que la dispute ;
Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte !
Plaisirs, ne tentez plus un cœur sombre et boudeur !

Le Printemps adorable a perdu son odeur !

Et le Temps m’engloutit minute par minute [4],
Comme la neige immense un corps pris de roideur [5] ;
Je contemple d’en haut le globe en sa rondeur
Et je n’y cherche plus l’abri d’une cahute [6].

Avalanche, veux-tu m’emporter dans ta chute ?

Georges Chelon 1997

[1] Mélancolique.
[2] Petite roulette pourvue de pointes, fixée aux talons des bottes du cavalier, qui sert à exciter le cheval en lui donnant des coups au flanc. Ici au sens figuré.
[3] Individu qui se livre à des vols ou petites escroqueries.
[4] Allusion à Cronos, dans la mythologie grecque : roi des Titans qui dévora ses enfants.
[5] Synonyme de raideur.
[6] Médiocre cabane, mauvaise hutte.