Spleen et idéal : LXXI – UNE GRAVURE FANTASTIQUE

Ce spectre singulier n’a pour toute toilette,
Grotesquement campé sur son front de squelette,
Qu’un diadème affreux sentant le carnaval.
Sans éperons [1], sans fouet, il essouffle un cheval,
Fantôme comme lui, rosse [2] apocalyptique [3],
Qui bave des naseaux comme un épileptique [4].
Au travers de l’espace ils s’enfoncent tous deux,
Et foulent [5] l’infini d’un sabot hasardeux.
Le cavalier promène un sabre qui flamboie
Sur les foules sans nom que sa monture broie,
Et parcourt, comme un prince inspectant sa maison,
Le cimetière immense et froid, sans horizon,
Où gisent, aux lueurs d’un soleil blanc et terne,
Les peuples de l’histoire ancienne et moderne.

Georges Chelon 1997

La Mort sur un cheval blanc de Joseph Haynes (1760-1829) d’après un dessin de Mortimer

Inspiré d’une gravure La Mort sur un cheval blanc de Joseph Haynes (1760-1829), peintre anglais.
[1] Petites roulettes pourvues de pointes, fixées aux talons des bottes du cavalier, qui servent à exciter le cheval en lui donnant des coups au flanc.
[2] Médiocre cheval.
[3] Qui évoque l’Apocalypse, la fin du Monde.
[4] Qui est sujet à l’épilepsie, maladie nerveuse.
[5] Du verbe fouler : écraser avec les pieds ; au sens figuré traiter avec un grand mépris; dédaigner.