Je ne vous écris pas, Monsieur Le Clézio, pour vous dire que je vous lis depuis 55 ans : ce serait banal, nous sommes des centaines de milliers dans ce cas et puis ce serait un peu démoralisant pour moi puisque cela indiquerait implicitement quel est mon âge : votre cadet de plus de dix ans, un galopin, votre lecteur presque débutant.
Je ne vous écris pas, Monsieur Le Clézio, pour vous dire que je vous admire : ce serait banal et il serait inutile de joindre mon modeste compliment à celui de milliers et milliers qui éprouvent le même enthousiasme pour vos livres, justement consacrés par les prix Renaudot, Paul-Morand de l’Académie française, Jean-Giono, Stig Dagerman et enfin le Nobel en 2008.
Je ne vous écris pas, Monsieur Le Clézio, pour vous implorer d’oublier votre résolution de 2017 de rendre votre passeport français si la fasciste Le Pen était élue : elle ne le fut ni en 2017, ni en 2022 ; mais grâce à ce Narcisse-Macron qui nous fait office de Président, ce « dégueulasse » comme vous l’avez si clairement qualifié, il y a grand risque qu’elle le soit en 2027 et il faut que vous demeuriez à nos côtés quand la peste viendra.
Je vous écris, Monsieur Le Clézio, avec quelques années de retard, pour votre ouvrage réunissant deux contes : Chanson bretonne et L’Enfant et la Guerre.
Car coïncidence (mais je ne crois guerre aux coïncidences), ils évoquent deux lieux :
- Combrit-Sainte-Marine en Bretagne où je suis allé moi aussi plusieurs fois en vacances ; avec là encore dix années de décalage sur vous, mais le site n’avait pas changé par rapport à la description que vous en donnez, ce qui n’est hélas plus du tout le cas aujourd’hui.
- Roquebillière dans le Haut-pays Niçois où j’ai vécu plus longtemps que vous : douze ans, de 1977 à 1989. Vous décrivez avec votre clarté habituelle les lieux, le simple et quotidien courage des gens, les habitudes d’entraide, et puis les évènements tragiques comme la mort du jeune antifasciste Mario, ou encore le massacre de plusieurs centaines de Juifs qui tentaient de passer en Italie par le col de Férisson – Berthemont et qui furent mitraillés par les Allemands.
J’ai vécu quatre ans à Berthemont : de ce courage, de cette entraide, des Juifs et de leur massacre jamais nul ne me parla, pas même les anciens qui avaient connu l’époque : la pudeur tout simplement.
Je vous écris donc, Monsieur Le Clézio, pour vous dire combien vos récits, vos écrits, conservent le souvenir des évènements de la vie, des êtres et de leurs comportements. C’est cela la littérature, immortelle : sans votre livre toutes ces personnes seraient disparues de la mémoire des hommes.
18 novembre 2022