2022 05 03 : René Maran : Batouala – Au temps béni des colonies

Pour une fois, je crois qu’il faut rappeler des éléments de biographie pour mieux comprendre une œuvre.

René Maran (1887-1960), était un écrivain de nationalité française, né en Martinique de parents guyanais (donc descendants d’esclaves Africains), il fit ses études à Bordeaux, puis partit en 1912, à 25 ans, pour « l’Afrique-Équatoriale française (AEF) », ayant obtenu un petit poste administratif du ministère des colonies à Bangui en République Centrafricaine, alors dénommée Oubangui-Chari. Il ne cessa d’avoir des démêlés avec sa hiérarchie pour « mauvais caractère ». Il fut muté au Tchad en 1921.

René Maran n’était ni révolutionnaire, ni anticolonialiste. Le terme d’ailleurs n’existait pas et rares étaient (à l’exception du Parti communiste – SFIC qui venait de naître) les courants politiques combattant le principe même du colonialisme, encore considéré comme « civilisateur ».

Batouala fut son premier roman, éponyme du chef du pays banda. Présenté par l’auteur comme « une succession d’eaux fortes », il nous raconte avec précision et souvent drôlerie les comportements de ce petit despote, coureur de bonnes fortunes en sus de ses neuf compagnes. On fait connaissance de sa première épouse Yassigui’ndja qui ne s’en laisse pas conter et du coup prend un jeune amant, Bissini’ngui… lequel a une maîtresse, I’ndouvoura. Rien de vaudevillesque : un tableau de mœurs qu’il nous faut comprendre.

On assiste également à de savoureux échanges avec le chien Djouma, qui devient à l’occasion narrateur. Puis une description détaillée des préparatifs et du déroulement de la fête des Ga’nzas organisés non par téléphone mais par d’efficaces tam-tams. La cérémonie principale est la circoncision et l’excision des jeunes avec force incantations, danses, chants et musiques d’instruments traditionnels.

On découvre aussi le rituel de la chasse, ses traques et captures, les différents animaux chassés.

On médite enfin sur l’importance de la coutume et la sagesse des anciens, décrites avec considération.

Pour épouser Yassigui’ndja, son amant Bissini’ngui projette d’assassiner le mari Batouala, mais il n’en aura pas le loisir car ce dernier meurt éventré par une panthère.

Les colons blancs apparaissent peu, mais sont perçus et décrits comme exploiteurs, méprisants, bizarres, brutaux, stupides, débauchés et alcooliques, et finalement redoutables.

Le roman révèle la morgue colonialiste de manière allusive ; tandis que la préface est explicitement incisive. Tout en rappelant son estime et son allégeance à la France (il admirait Brazza), il dénonce les méfaits des colonisateurs, les famines qui ont tué des milliers d’Africains, les atrocités, les bassesses, les méfaits de la « civilisation ». Cependant René Maran exprime son amour de la culture française, d’ailleurs il conclut cette préface en citant un vers de Paul Verlaine : « Maintenant, va, mon Livre, où le hasard te mène ! ».

C’en était évidemment trop, insupportablement trop, pour l’engeance réactionnaire et colonialiste qui déclencha contre lui une aigre polémique. Sans atteindre totalement ses objectifs puisque le prix Goncourt 1921 lui fut décerné. Car des intellectuels illustres des années vingt, tels André Gide, témoignèrent de l’estime pour son style littéraire et de la considération pour son témoignage des méfaits coloniaux, qu’ils demandaient aux autorités d’aller vérifier et corriger sur place (sans résultats évidemment). A l’inverse, certains Africains anticolonialistes lui reprochèrent plus tard sa tiédeur, son ambiguïté, une estime de la France fautive car indissociable de sa politique ; parmi eux et avec sévérité, hélas, le grand Frantz Fanon que l’on connut plus perspicace.

René Maran écrivit une vingtaine d’autres ouvrages, tombés dans l’oubli et c’est bien dommage. Je trouverai le temps, j’espère, de me les procurer.

3 mai 2022